L’identité de l’Europe : Histoire et géographie d’une quête d’unité
Christian Vandermotten, Bernard Dézert Paris, Armand Colin, 2008, 333 p.
Christian Vandermotten et Bernard Dezert analysent l’Europe sous un angle inattendu. La combinaison d’analyses historiques et géographiques apporte un regard nouveau sur la construction de l’identité du continent. Le choix du titre de l’ouvrage met en lumière la dimension globale de la démarche : l’identité de l’Europe et sa quête d’identité sont influencées par l’Histoire et la géographie. La photographie du pont de Mostar, qui orne la couverture, en est un bon témoignage : construit par Suliman Le Magnifique, ce pont reliait la partie bosniaque et la partie croate de la Bosnie-Herzégovine. Symbole de la coexistence de communautés d’origines culturelle, ethnique ou religieuse différentes, il fut détruit par l’armée croate en 1993 malgré l’opposition des populations civiles. Reconstruit en 2003, il est aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est un signe fort de la cohabitation et de la tolérance entre les populations chrétiennes et musulmanes en Europe.
Les auteurs s’intéressent en premier lieu à l’identité européenne et s’interrogent sur les frontières de l’Europe. Contrairement au continent américain, délimité par la mer, l’Europe n’a pas de « frontières naturelles » intangibles : elle n’est qu’une péninsule à l’extrémité ouest de l’Eurasie. Les monts Oural, souvent considérés comme une limite de l’Europe, sont comparables aux Rocheuses américaines par leurs faibles altitudes, et ne scindent pas nettement l’Europe et l’Asie. Au sud-est, l’inclusion ou l’exclusion de la Turquie dans l’espace européen n’a pas non plus de justification géographique. Les frontières de l’Europe résultent donc d’une décision politique.
L’Histoire, elle aussi, permet d’expliquer l’identité européenne. La révolution industrielle, qui en est l’un des ferments, n’a pu naître que dans des formations territoriales d’une certaine taille ; elle a ainsi entraîné l’apparition des États-nations. Cette analyse est toujours d’actualité puisqu’elle justifie la formation de la Communauté économique européenne dans le contexte d’une économie mondialisée. La disparition des frontières et la régionalisation influencent aussi l’identité européenne. Alors que les zones frontalières, périphériques, étaient souvent délaissées par les nations, elles sont aujourd’hui le terrain privilégié d’expériences internationales de redéploiement économique. L’encouragement de coopérations territoriales transfrontalières renforce les relations directes de région à région et affaiblissent le rôle des États. Cette analyse est fondamentale pour expliquer l’évolution vers une identité européenne en parallèle au retour des identités régionales.
L’Histoire et la géographie permettent également d’expliquer la quête d’unité de l’Europe. Les risques naturels tels que le risque sismique ou la gestion des ressources maritimes en mer Méditerranée dépassent les frontières des États. L’analyse géographique démontre que l’Union européenne est l’échelon pertinent pour gérer ces questions. Cela justifie que 80 % des thématiques environnementales soient traitées à ce niveau et que l’Union européenne se pose comme l’entité qui prend les devants dans la renégociation du protocole de Kyoto. La géographie permet en outre de comprendre les conséquences de cette unité européenne. La politique agricole commune (PAC) a entraîné un remembrement des parcelles agricoles et profondément modifié le paysage de l’Union européenne. De manière analogue, les mutations économiques et politiques ont transformé la géographie européenne. Les auteurs mettent en exergue l’impact du développement industriel sur la construction de routes, ponts, ou voies ferrées. La majorité des forêts européennes d’Europe occidentale et centrale est malade des pollutions routières et industrielles. Au-delà de simples considérations d’aménagement du territoire, les auteurs justifient donc, ici encore, l’intervention de l’Union européenne dans la construction de voies fluviales telles que le canal Seine Nord Europe ou de modes alternatifs de transport de personnes et de marchandises.
Le point de vue de Christian Vandermotten et Bernard Dezert sur la construction de l’Europe est original. Loin d’être technique, cet ouvrage est didactique. L’apport de l’Histoire et la géographie transcende la vision classique fondée sur l’idéologie politique et l’économie. Elle donne de la hauteur et permet de saisir l’ensemble des enjeux de l’unité de l’Europe dans sa quête d’unité.