À la lumière du récent renforcement du poids du Hezbollah sur la scène politique libanaise et sur l'échiquier international, l'ancien patron des services de contre-espionnage français nous fournit avec cet ouvrage une perspective historique des ingérences extérieures au Liban, se concentrant essentiellement sur le rôle de l'Iran, et nous offre quelques « révélations » croustillantes.
En guise d'introduction, Yves Bonnet, au cours des trois premiers chapitres de son livre, décrypte synthétiquement mais clairement l'émergence du Hezbollah depuis l'invasion israélienne au Liban en 1982. Rappel historique nécessaire, il permet de mieux comprendre l'instrumentalisation par l'Iran d'une milice nationaliste et chiite qui substitua dans les années 1980, au « Fatahland », un « Hezbollahland » devenu un terreau fertile du radicalisme chiite. L'émergence de l'Iran des mollahs à la fin des années 1970 et le fort charisme des leaders successifs du Parti de Dieu (Cheikh Fadlallah, Hassan Nasrallah) permirent ensuite au Hezbollah de prendre une place centrale en tant qu'acteur sur la scène politique libanaise, puis sur la scène internationale en se faisant l'intermédiaire de l'Iran notamment.
L'Iran, acteur central au Moyen Orient, fait alors dans les années 1980 et 1990 du Liban son terrain de jeu. Yves Bonnet se saisit des relations France-Iran, qu'il avait déjà décrite dans son précédent ouvrage intitulé Le nucléaire iranien, une hypocrisie internationale (Michel Lafon, janvier 2008, 397 p.) pour décrire l'ingérence iranienne dans les affaires politiques libanaises. L'auteur rappelle ainsi les conséquences de « l'affaire Eurodif », portant sur le refus du gouvernement français de poursuivre les livraisons de combustible nucléaire à Téhéran après la saisie du pouvoir par les mollahs en Iran. Afin de faire pression sur une classe politique française passée « dans le camp des Satan » (accueil d'opposants politiques iraniens sur le sol français, non-remboursement par la France d'un prêt à l'Iran de 1 milliard de dollars, fourniture d'armes à l'Irak...), on a assisté à cette époque à ce que l'auteur qualifie de « compromis de truands » (p. 121) entre Damas et Téhéran et qui visait à faire transiter via la Syrie des armes et du matériel en provenance de l'Iran et à destination du Hezbollah au Liban. L'ancien responsable de la Direction de la surveillance du territoire (DST) accuse ainsi l'Iran d'avoir perpétré entre 1981 et 1991 plusieurs assassinats, prises d'otages et attentats meurtriers via le Hezbollah, qui ont coûté la vie à des dizaines de Français avant que le « contentieux Eurodif » ne soit réglé. Yves Bonnet tient également à souligner, et c'est ce qui fait l'intérêt de son ouvrage, que la classe politique française instrumentalisa elle aussi la prise d'otage de Français au Liban dans les années 1980. Et l'ancien directeur du renseignement de révéler ainsi quelques « affaires » impliquant certains hauts responsables politiques hexagonaux qui auraient opéré de peu scrupuleux calculs de politique intérieure dans l'affaire des otages au Liban.
Revers de la médaille, en se livrant à un mélange des genres (chroniques historiques, analyses, révélations journalistiques...) et en multipliant les retours en arrière, Yves Bonnet ne facilite pas toujours notre compréhension des situations qu'il décrit. Cependant, son analyse de l'émergence du Hezbollah et du rôle joué par l'Iran dans ce processus reste limpide.
L'auteur rappelle avec justesse, en toute fin d'ouvrage, que malgré le rôle croissant joué par la milice chiite dans la vie politique et électorale du Liban, le Hezbollah n'a pas renoncé aux armes. Ce qui entre largement en résonance avec les évènements de mai 2008, où, en réponse à des actions du gouvernement libanais allant à l'encontre de ses intérêts, le Hezbollah eut recours à la violence. Ce dernier épisode ne montre-t-il pas que le Hezbollah, devenu un véritable « État dans l'État », est désormais lui aussi un acteur en mesure de prendre le Liban en otage ?