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L’Europe a-t-elle un avenir stratégique ?
Nicole Gnesotto Paris, Armand Colin, 2011, 220 p.
Nicole Gnesotto, titulaire de la chaire Union Européenne au sein du Conservatoire National des Arts et Métiers, ancienne Directrice de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne est sans aucun doute l’une des plus brillantes praticiennes des questions européennes. Dans son dernier ouvrage, elle insiste sur la nécessité, pour les États européens, de donner vie à ce qu’elle appelle l’Europe Stratégique, si ces États veulent continuer à exister sur la scène internationale, et si, les Européens, veulent avoir un rôle dans la reconfiguration actuelle des relations internationales. Après une première partie historique, qui retrace les tentatives de création d’un rôle stratégique pour les États européens au long de la guerre froide, à travers la Communauté Européenne de Défense, ou encore l’Identité Européenne de Sécurité et Défense (IESD), N. Gnesotto nous présente la naissance et l’affirmation de la Politique Européenne de Sécurité et Défense (PESD) jusqu’à arriver au temps présent, fait de doutes de la part des États européens, de crise du processus d’intégration, de remise en question du travail accompli, alors même que la mondialisation bouleverse les relations internationales telles que nous les avons connues.
La partie historique de cet ouvrage a un intérêt tout particulier, car elle retrace les perceptions et intérêts divergents entre les deux principales puissances militaires de l’Union, la France et le Royaume Uni, au long de la guerre froide, puis au moment du Sommet de Saint Malo, en 1998, date de naissance de la PESD, jusqu’à aujourd’hui, après la réintégration du commandement intégré de l’OTAN de la part de la France, et la signature d’un Traité de Défense franco-britannique. Des analyses particulièrement importantes, alors même que la France et le Royaume Uni ont pris le commandement des opérations visant à protéger les civils libyens contre le régime de Khadafi, et que l’Union Européenne a été tenue à l’écart de la gestion de cette crise. La relation entre les Européens et les États-Unis, et surtout la relation européenne à la puissance américaine, est également savamment décortiquée.
L’idée clé de l’ouvrage, l’évidence de la nécessité d’un rôle européen sur la scène internationale, due à la spécificité de la puissance européenne, une puissance normative, non agressive, mieux perçue sur des nombreux théâtres d’opérations que celle américaine, est couplée à une autre affirmation importante. Aucune des crises internationales qui ont secoué la planète lors des dix dernières années ont connu un traitement uniquement militaire. À la différence de l’Alliance Atlantique justement, l’Union Européenne dispose d’une légitimité politique (il ne s’agit pas d’une simple alliance militaire) et d’instruments adaptées (forces de police militaire, capacité de state-building etc.) pour pacifier, stabiliser et reconstruire une zone en conflit.
Dans un monde globalisé, au sein duquel, à l’horizon 2030, un être humain sur deux sera asiatique, au sein duquel l’Union Européenne ne comptera que 6 % de la population mondiale et les États-Unis 3 %, dans lequel les matières premières nécessaires à l’approvisionnement énergétique de l’Europe se trouvent dans des régions hautement crisogènes comme l’Afrique Subsaharienne, le Moyen Orient et la Russie, peut-on encore affirmer que la démocratie est l’horizon inévitable du développement économique d’un pays comme la Chine ? Ou bien assistons-nous à la naissance d’un nouveau paradigme de l’exercice du pouvoir inconnu aux sciences politiques ? L’occidentalisation du monde sera-t-elle une bonne nouvelle pour nous les Européens ? Et les États européens, seront-ils encore des démocraties, ou bien l’émergence de nouveaux mouvements populistes se sera renforcée en raison de l’ampleur des flux migratoires, du déclin démographique et politique des États européens ? N. Gnesotto pose toutes ces questions, et explique brillamment la contradiction importante créée par la globalisation. L’État, dans un monde globalisé, est à la fois renforcé et affaibli par ce mouvement. Renforcé car seul échelon légitime, il est affaibli par son impuissance à influer fortement sur les problématiques globales, qu’elles soient économiques, financières, climatiques ou militaires. Alors que le monde devient multipolaire, en raison de la crise de la puissance américaine et de l’émergence de nouvelles puissances, les États européens auront de moins en moins un rôle actif sur la scène internationale, à moins qu’une vraie politique étrangère commune ne soit constituée, politique dont la PSDC serait l’un des instruments. Quelle vision du monde partageons-nous ? Comment voulons-nous réguler la mondialisation ? Quels sont nos intérêts stratégiques ? Sans réponse commune à ces questions, les États européens sont destinés à l’oubli stratégique.