Moins célèbre que la CIA ou le KGB, le Guoanbu (sûreté de l'État), nom des services secrets chinois, serait-il devenu le plus puissant au monde ? C'est la question que se posa Roger Faligot quand il débuta sa longue enquête sur un monde peu connu, mais qui semble s'imposer comme l'un des principaux artisans de la montée en puissance de la Chine. Dans les années 1920, alors que se mettaient en place le parti communiste chinois et son bras armé, l'Armée populaire de libération (APL), les futurs dirigeants de la Chine populaire créaient les premières unités de services secrets.
La toile d'araignée des services secrets chinois, tant sur le territoire national qu'à l'extérieur, s'est tissée au fil des années et des apports de certains dirigeants ayant compris leur importance. Mao Zedong et Deng Xiaoping se retrouvent ainsi sur l'importance qu'ils accordèrent à ces services pour asseoir leur autorité, écraser les dissidences, et surveiller les dangers pouvant menacer le régime. Les mouvements pro-Tibet, le falungong, les étudiants de la place Tien'anmen, sans oublier les intérêts taiwanais et les citoyens de Hong Kong... La liste des gens à surveiller est décidément bien longue, mais ce ne sont pas les moyens pharaoniques qui semblent effrayer les dirigeants chinois. À la sûreté d'État viennent ainsi s'ajouter le ministère de la Sécurité publique (Gonganbu), le service de renseignement du Comité central du PCC (Diaochabu), et les services de renseignement de l'APL, notamment chargées de l'infoguerre et de la cyberguerre. Une architecture aussi complexe que puissante, qui s'est mise en place progressivement, et constitue aujourd'hui un réseau qui est le plus important au monde.
Les missions extérieures des services secrets chinois, au départ purement politiques et longtemps focalisées sur Taiwan, ont également progressivement évolué vers d'autres domaines, en particulier l'économie. C'est le principal apport de Deng et de son successeur, Yang Zemin. Les deux hommes avaient en effet compris que l'espionnage industriel est non seulement un des éléments clefs de l'espionnage, mais constitue aussi un enjeu de poids pour une Chine en pleine croissance, et soucieuse de préparer l'avenir en jouant la carte du « soft power ». Robert Faligot nous entraîne alors dans les mécanismes de cette nouvelle forme d'espionnage, dont certaines affaires, de Valeo en France au Pentagone aux États-Unis, furent médiatisées. Plus généralement, le pouvoir central chinois est soucieux de réussir sa montée en puissance économique, et n'hésite pas pour ce faire à s'ingérer dans les litiges commerciaux (affaire Danone, problèmes rencontrés par Citroën...).
Dernière mission de ces services secrets, ficher les mouvements anti-JO, en Chine et ailleurs. Car il ne faut surtout pas manquer ce rendez-vous avec l'histoire. L'enjeu est de taille, et les services secrets ont été mobilisés depuis des années pour que rien ni personne ne vienne entraver le plus important événement chinois de ce début de siècle, en attendant l'Exposition universelle de Shanghai en 2010.
Parmi les pays étrangers, la France et l'Australie seraient des cibles privilégiées pour les services secrets chinois, qui estiment que ce sont les deux pays les plus faciles à infiltrer, et ceux dans lesquels il est aisé de manipuler et convaincre « les institutions et les hommes ».
La France présente la particularité d'être plus réceptive que d'autres puissances occidentales à un discours pro-chinois. Une amitié entre les deux pays qui remonte à la reconnaissance de la Chine populaire par Charles de Gaulle, des milieux maoïstes plus nombreux en France qu'ailleurs, un anti-américanisme qui converge avec les intérêts de Pékin, et une fascination presque romantique que la France continue de manifester à l'égard de la Chine. Ce serait donc parce que la France est plus réceptive à la Chine que cette dernière aurait décidé de la surveiller de près, quitte à se montrer parfois exigeante. On pense ainsi aux gesticulations qui précédèrent les Jeux olympiques, avec notamment des appels au boycott de produits français, et de la marque Carrefour, fortement implantée en Chine.
Sans concession ni partis pris, l'enquête de Roger Faligot l'a conduit à explorer des documents inédits dans plusieurs pays, à recevoir les témoignages d'acteurs des services secrets chinois autant que de dissidents qui en subirent les pratiques. La précision des informations et le style presque romanesque en font un ouvrage agréable à la lecture, et tout autant utile à ceux qui souhaitent découvrir une autre facette de la puissance chinoise. On regrette cependant parfois l'avalanche d'informations, presque indigeste, notamment les noms des différents acteurs de cette histoire aux multiples rebondissements, mais force est de reconnaître que cette enquête est un précieux apport pour mieux comprendre comment fonctionne la plus grande dictature au monde, qui sera un jour (en 2035 prédit Faligot), la première puissance économique mondiale.