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Les islamistes tunisiens. Entre l’État et la mosquée
Séverine Labat - Paris, Démopolis, 2014, 265 p.
Vue d’Occident, la révolution tunisienne est parfois considérée comme une réussite, voire comme un modèle. Une réussite : Zine el-Abidine Ben Ali a été renversé, le 14 janvier 2011, par un mouvement populaire, sans effusion de sang, preuve que le monde arabe ne saurait rester insensible au vent de liberté qui balaie la planète depuis la fin de la guerre froide. Un modèle : les élections du 23 octobre 2011 ont porté au pouvoir le parti Ennahdha, qui incarnerait un islamisme modéré soluble dans la démocratie.
Séverine Labat ne partage pas un tel optimisme. À ses yeux, la chute de Z. A. Ben Ali a ouvert une ère d’instabilité. Elle s’inscrit en faux contre les thèses d’Olivier Roy ou de Gilles Kepel, qui avaient prophétisé l’échec de l’islam politique. Tous les ingrédients lui semblent, au contraire, réunis pour permettre son épanouissement : l’aura qui entoure les persécutions dont il fut l’objet sous la dictature – Ennahdha aime à se présenter comme le « parti des fusillés » ; l’absence de programme structuré des manifestants et d’alternatives idéologiques sociologiquement ancrées qu’illustre l’éclatement des forces démocratiques en une multitude de petits partis sans audience ; l’écho suscité par les valeurs promues par Ennahdha dans une société très conservatrice – qui ne correspond pas tant à la Tunisie de l’intérieur qu’à la petite-bourgeoisie, avide de revanche sociale face à une élite occidentalisée et « dévoyée » –, et l’adresse déployée par son leader, Rached Ghannouchi, pour donner le change aux démocrates sans désavouer ses liens avec les salafistes de Ansar Al-Charia.
S. Labat est particulièrement pessimiste. Elle voit dans l’attaque contre l’ambassade américaine le 14 septembre 2012, l’assassinat de l’opposant laïc Chokri Belaïd le 6 février 2013 et les mouvements insurrectionnels djihadistes du Djebel Chaâmbi, dans l’Ouest du pays, autant de signes d’une lente dérive vers la violence. Elle refuse de comparer Ennahdha au Parti pour la justice et le développement (AKP) turc, les deux pays n’ayant ni la même histoire ni la même relation à l’islam et préfère, instruite par sa longue familiarité avec l’islamisme algérien (Les islamistes algériens : entre les urnes et le maquis, Le Seuil, 1995), souligner les similarités avec l’Algérie voisine, dont on sait quelles épreuves elle a dû traverser avant de restaurer la paix civile. Car, pour S. Labat, l’islamisme modéré est un oxymore, une contradiction dans les termes. L’islamisme, rappelle-t-elle, est une idéologie totalitaire qui ne conçoit la liberté individuelle que dans les limites de l’obéissance à Dieu. Les professions de foi démocratiques lancées par les leaders d’Ennahdha ne doivent pas faire illusion. Il s’agit d’un discours électoraliste qui ne saurait masquer les objectifs ultimes du mouvement : l’instauration de la charia et le rétablissement du califat.
Ce pessimisme connaît toutefois un double tempérament. Premièrement, si les puissances occidentales, États-Unis en tête, ont fait le pari de soutenir les islamistes, c’est à condition qu’ils respectent le pacte démocratique. Toute déviance de leur part – par exemple dans l’affichage trop ostentatoire d’un soutien aux salafistes – entraînerait le retrait du soutien occidental. Deuxièmement, comme l’a montré la révolution de 2011, la société civile tunisienne est désormais un acteur politique à part entière qui garde une capacité de mobilisation, laquelle, comme en Égypte lors du renversement de Mohamed Morsi en juillet 2013, hypothèque la construction d’un ordre islamiste.
Séverine Labat ne partage pas un tel optimisme. À ses yeux, la chute de Z. A. Ben Ali a ouvert une ère d’instabilité. Elle s’inscrit en faux contre les thèses d’Olivier Roy ou de Gilles Kepel, qui avaient prophétisé l’échec de l’islam politique. Tous les ingrédients lui semblent, au contraire, réunis pour permettre son épanouissement : l’aura qui entoure les persécutions dont il fut l’objet sous la dictature – Ennahdha aime à se présenter comme le « parti des fusillés » ; l’absence de programme structuré des manifestants et d’alternatives idéologiques sociologiquement ancrées qu’illustre l’éclatement des forces démocratiques en une multitude de petits partis sans audience ; l’écho suscité par les valeurs promues par Ennahdha dans une société très conservatrice – qui ne correspond pas tant à la Tunisie de l’intérieur qu’à la petite-bourgeoisie, avide de revanche sociale face à une élite occidentalisée et « dévoyée » –, et l’adresse déployée par son leader, Rached Ghannouchi, pour donner le change aux démocrates sans désavouer ses liens avec les salafistes de Ansar Al-Charia.
S. Labat est particulièrement pessimiste. Elle voit dans l’attaque contre l’ambassade américaine le 14 septembre 2012, l’assassinat de l’opposant laïc Chokri Belaïd le 6 février 2013 et les mouvements insurrectionnels djihadistes du Djebel Chaâmbi, dans l’Ouest du pays, autant de signes d’une lente dérive vers la violence. Elle refuse de comparer Ennahdha au Parti pour la justice et le développement (AKP) turc, les deux pays n’ayant ni la même histoire ni la même relation à l’islam et préfère, instruite par sa longue familiarité avec l’islamisme algérien (Les islamistes algériens : entre les urnes et le maquis, Le Seuil, 1995), souligner les similarités avec l’Algérie voisine, dont on sait quelles épreuves elle a dû traverser avant de restaurer la paix civile. Car, pour S. Labat, l’islamisme modéré est un oxymore, une contradiction dans les termes. L’islamisme, rappelle-t-elle, est une idéologie totalitaire qui ne conçoit la liberté individuelle que dans les limites de l’obéissance à Dieu. Les professions de foi démocratiques lancées par les leaders d’Ennahdha ne doivent pas faire illusion. Il s’agit d’un discours électoraliste qui ne saurait masquer les objectifs ultimes du mouvement : l’instauration de la charia et le rétablissement du califat.
Ce pessimisme connaît toutefois un double tempérament. Premièrement, si les puissances occidentales, États-Unis en tête, ont fait le pari de soutenir les islamistes, c’est à condition qu’ils respectent le pacte démocratique. Toute déviance de leur part – par exemple dans l’affichage trop ostentatoire d’un soutien aux salafistes – entraînerait le retrait du soutien occidental. Deuxièmement, comme l’a montré la révolution de 2011, la société civile tunisienne est désormais un acteur politique à part entière qui garde une capacité de mobilisation, laquelle, comme en Égypte lors du renversement de Mohamed Morsi en juillet 2013, hypothèque la construction d’un ordre islamiste.