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Les Frères musulmans en Europe. Racines et discours
Brigitte Maréchal Paris, PUF, 2009, 310 p.
Dans le contexte actuel où les rapports demeurent tendus entre Occident et Islam, notamment avec l’affaire du voile en France ou de la construction des minarets en Suisse, l’ouvrage de Brigitte Maréchal apporte certains éléments de réponses en décryptant l’aspect idéologique des Frères musulmans en Europe d’un point de vue socio-anthropologique.
Cet ouvrage n’aborde ni l’histoire du mouvement, ni une chronologie des faits ou une biographie détaillée des membres fondateurs, Brigitte Maréchal ayant surtout accentué ses recherches sur le vécu et les valeurs des Frères.
Ainsi, dès le début, les Frères Musulmans cherchent de par leur action à insuffler une libéralisation de la connaissance religieuse, diminuant en cela l’emprise des oulémas. Ils invitent tout musulman à dépasser le Taqlid (imitation) dans l’interprétation des sources de l’Islam et à oser l’Ijtihad (effort personnel d’interprétation), quitte à demander son avis auprès de personnes compétentes en cas de doute.
C’est sur cette base que l’idéologie des Frères tente de s’adresser aux musulmans en Europe. Si historiquement le mouvement a dû se forger sur un sentiment antibritannique en Égypte, et par extension contre les régimes laïques, communistes et athées, il aboutit à deux modèles, l’un prônant un changement sociopolitique progressif, l’autre la révolution.
Il est évident qu’actuellement les Frères cherchent à se détacher de l’étiquette révolutionnaire et de la lutte armée, qui leur était imposée par le passé. Ainsi, en Europe, ils sont les initiateurs « d’organismes d’encadrements communautaires » (IESH, CEFR) qui cherchent à s’adresser aux musulmans d’Occident. Mais comme l’a souligné à juste titre Brigitte Maréchal, « le succès reste faible, voir mitigé auprès des populations qui ne se retrouvent pas toujours dans cette tentative monopolistique d’encadrer les musulmans européens et de parler en leur nom ».
Paradoxalement, la vison du monde des Frères musulmans, difficilement saisissable auprès de musulmans européens laïcs (qui contestent l’usage politique de la religion), rend le discours wahhabite, plus attractif « aux musulmans en manque de repères identitaires forts », de par son apparence « égalitaire » et moins hiérarchisé.
Dans ce contexte, le thème de justice sociale des Frères musulmans sur le droit des communautés musulmanes rencontre peu d’écho. Les démarches particularistes (affaire du foulard en France, lois antiterroristes en Grande-Bretagne…) cherchent à faire connaître les musulmanes en tant que minorité religieuse. Et malgré des figures charismatiques à l’instar de Hani et Tariq Ramadan, petits-fils d’Hassan Al-Bana, un certain scepticisme règne, comme l’a si bien démontré l’auteur à travers les entretiens effectués auprès de musulmans européens et le décryptage du discours de Tariq Ramadan.
Les principes de Frères musulmans, avec la « nature globale de l’islam » (Shummuliya), « la droiture dans le comportement » (I’tidal) et la « voie médiane » (Wasatiya), dépassent la dichotomie dar Al islam (terre de l’islam) et Dar Al Harb (terre de la guerre) et introduisent la notion de Dar Al Da’wah (terre de la prédication).
Mais c’est justement cette complexité des principes qui égare les musulmans européens et qui incite le mouvement à bout de souffle à redéfinir ses grandes lignes de réflexion.
Le contexte actuel peut donner aux Frères musulmans un second souffle. Brigitte Maréchal a vu juste en parlant d’un « chant du cygne différé ». C’est aux Frères musulmans qui se veulent « communauté du juste milieu » de réadapter leur discours aux musulmans européens et par extension, aux Européens eux-mêmes. Vont-ils y parvenir ?