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Les financiers détruiront-ils le capitalisme ?
Robert Boyer Paris, Economica, 2011, 238 p.
Le nombre de livres sur la crise explose. Celui rédigé par Robert Boyer entre 2008 et 2011 était particulièrement attendu. L’École de la régulation, à laquelle il appartient, met en perspective historique les régimes d’accumulation, les formes institutionnelles et les modes de développement des petites et des grandes crises. Elle a permis de comprendre les régimes américains et européens. Permet-elle de comprendre en profondeur la crise qui se déploie dans le cadre du capitalisme mondial, de la globalisation financière, de la mise en place d’un monde multipolaire et des nouvelles interdépendances Nord / Sud et Sud / Sud ? Nous ne le pensons pas. A part les travaux de Jacques Mistral sur les régimes internationaux, elle a toujours été mal à l’aise dans la dimension internationale et mondiale du capitalisme.
Bien entendu, la puissance d’interprétation de la crise financière actuelle par R. Boyer est très forte. Il prend en compte ses origines lointaines,liées aux dérèglementations à outrance, à la disjonction entre la finance et l’économie productive. L’approche de la régulation est pertinente pour comprendre la en profondeur. En effet, les institutions, codification des rapports sociaux, sont constitutives du capitalisme, et les politiques jouent un rôle déterminant dans la genèse des formes institutionnelles.
La crise est un « épisode au cours duquel se rompent les régularités antérieures et s’ouvre une période fort incertaine d’affrontement tant d’intérêts que de visions du monde économique, social et politique » (p. 13). Elle traduit l’épuisement d’un régime économique. « Dans une économie financiarisée, c’est le régime monétaire et financier qui occupe la place hiérarchique qu’avait le rapport salarial dans le modèle de croissance antérieur » (p. 33). R. Boyer distingue sept formes de capitalisme et illustre les modèles permettant de les comprendre par de nombreux tableaux et figures très pédagogiques. Il met in fine l’accent sur les stratégies nationales et le rôle du politique. Il y a certes interdépendance internationale croissante, mais également retour à l’État-nation. La sortie de crise suppose la primauté du politique sur la finance, de nouveaux compromis institutionnalisés,une insertion internationale dans un régime multipolaire négocié. Il s’agit de revenir sur la liberté de mobilité internationale des capitaux, de taxer les flux de capitaux internationaux et surtout de contrôler les pouvoirs financiers et leurs liens avec les pouvoirs politiques.
L’ouvrage demeure toutefois occidentalo-centré en s’intéressant à l’épicentre de la crise et au cœur du capitalisme, et en ignorant largement certaines de ses dimensions, à commencer par l’épuisement du régime d’accumulation face aux contraintes environnementales. Comment peut-on trouver dans un ouvrage savant des stéréotypes sur une Afrique préindustrielle et de prédation ? La bibliographie est très révélatrice de la faible prise en compte des Suds.
R. Boyer mésestime la mondialisation du capitalisme productif et financier, le déplacement de centres de gravité vers les pays émergents et le rôle des relations tricontinentales (Asie, Afrique, Amérique latine). Le capitalisme financier a été aussi déterminant dans l’émergence de nouvelles puissances, et la crise actuelle ne peut être comprise en se limitant au cœur du système des pays capitalistes développés. Vue des Suds, qui connaissent globalement des croissances fortes accompagnées de grandes inégalités, elle apparaît sous un autre éclairage. R. Boyer sous-estime la nouvelle économie politique mondiale révélant, au-delà des connivences, la disjonction entre les pouvoirs économiques largement mondialisés et les pouvoirs politiques demeurant largement nationaux. Il intègre mal les tendances de long terme concernant, notamment, les variables démographiques, scientifiques et technologiques ou environnementales et l’impasse écologique du mode de développement du premier monde industriel et du second monde émergent.
Une théorie de la régulation intégrant la mondialisation, les interdépendances asymétriques entre les États-nations, les déplacements des centres de gravité du capitalisme et les enjeux planétaires est-elle possible ? Peut-on espérer qu’un des plus grands penseurs français relativise les typologies de sociétés industrielles et de leurs crises, pour aborder la dimension planétaire du capitalisme intégrant une grande hétérogénéité de sociétés ?