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Les Etudes postcoloniales. Un carnaval académique
Jean-François Bayart Paris, Karthala, Coll. Disputatio, 2010, 126 p.
Le monde universitaire, on le sait, est un univers impitoyable. Les inimitiés personnelles et les disputes intellectuelles y sont monnaie courante. Mais il est rare qu'elles atteignent le niveau d'animosité qui caractérise la polémique ouverte entre Jean-François Bayart et les tenants français du postcolonialisme.
Dans un court ouvrage de la bien-nommée collection Disputatio publié chez Karthala, Jean-François Bayart, africaniste et politiste de renom, rassemble les critiques qu'il avait déjà eu l'occasion d'adresser aux postcolonial studies à la française dans des articles aux titres annonciateurs : « De quel "legs colonial" parle-t-on ? » (Esprit, 2006), « La novlangue d'un archipel universitaire » (dans Marie-Claude Smouts, La situation coloniale, Presses de Sciences Po, 2008), « En finir avec les études coloniales » (Le Débat, 2009).
Il interroge en premier lieu leur caractère novateur. Rappelant l’œuvre des grands anticolonialistes français (Sartre, Fanon, Césaire, Senghor...) l’influence qu’a eu la French theory sur les subaltern studies américaines– dont les postcolonial studies –, J-F Bayart soutient que la France n'a pas à rougir de son « provincialisme » intellectuel et qu'elle a plus qu'à son tour pris sa part à l'étude de la « situation coloniale » (Georges Balandier, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, 1951).
En deuxième lieu, l’auteur accuse les tenants français du postcolonialisme de réifier le fait colonial, de construire une colonie et une postcolonie idéaltypiques qui ne correspondent pas à la réalité historique. Il rappelle l'hétérogénéité du fait colonial dans l'espace et dans le temps et reproche aux postcolonials studies d'enfermer l'Indigène d'hier et d'aujourd'hui dans une position dé-historicisée et victimisante.
Enfin, en troisième lieu, J-F Bayart stigmatise les postcoloniaux pour l'utilisation de leurs théories à des fins politiques : quittant le champ scientifique, ils auraient « tendance à cantonner (les études postcoloniales) à une critique très « franco-française » de la République, de la genèse de la citoyenneté et du legs colonial » (p. 39). Une fois encore, c'est l'ethnicisation du fait social qui est mise en cause, les postcolonial studies étant accusées de faire le lit du communautarisme et, partant, de participer à un projet délétère d'atomisation du corps social.
À lire la violence des critiques de Jean-François Bayart – qui ne cède en rien à celle de la réponse des auteurs de Ruptures postcoloniales (voir infra) – on oscille entre l'amusement et la gêne. Et l’on en vient à regretter avec Marie-Claude Smouts que ce « processus de disqualification et de surenchère » ait favorisé « un manichéisme délirant, l'alternative choix ou refus d'une perspective postcoloniale dans l'analyse de la France contemporaine prenant l'allure d'une lutte entre le bien et le mal » (Ruptures postcoloniales, p. 312).