See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Les déserteurs de Dieu. Ces ultra-orthodoxes qui sortent du ghetto
Par Florence Heymann - Paris, Grasset, 2015, 376p.
Anthropologue basée à Jérusalem, Florence Heymann entrouvre la porte des maisons des ghettos ultraorthodoxes israéliens. Elle initie le lecteur à l’univers extrêmement codifié des identités religieuses israéliennes, avec pédagogie et clarté. Insensibles au profane, les multiples recompositions des identités religieuses en Israël constituent un objet de recherche fascinant, que l’auteur approche dans toute sa complexité en livrant une foule d’entretiens et d’extraits de séries télévisées symptomatiques des reconfigurations de la société israélienne.
À l’heure actuelle, moins de 1 million d’individus, soit environ un Israélien sur dix, seraient ultra-orthodoxes, terme qui ne doit pas masquer la multiplicité des pratiques et des obédiences qu’il subsume. Le phénomène du « retour à la question » de jeunes adultes élevés dans les ghettos israéliens et éduqués dans les établissements scolaires religieux que sont les yeshivas, a vu la création d’associations comme Hillel, où l’auteur a débuté un bénévolat en 2012. Cette association vient en aide à ces jeunes ayant pris la décision de « sortir », de refuser le mode de vie aride et coupé du reste de la société que promettent à différents degrés les communautés ultra-orthodoxes. Au niveau des parcours individuels, cette sortie provoque souvent la rupture avec les cercles familiaux, amicaux et professionnels, causant déracinement et perte d’identité.
La décision individuelle du « retour à la question » n’est pas anodine pour la société israélienne dans son ensemble. Elle en interpelle les valeurs, souligne l’opposition entre sentiment d’appartenance à la judéité ou à Israël, par exemple en questionnant l’exemption de service militaire obligatoire faite aux ultra-orthodoxes. Elle commence également à être prise en compte par le gouvernement, rassemblé en coalition autour du Likoud, comme une question de santé publique, après des suicides de sortants.
L’abandon d’une identité ultraorthodoxe, vécue comme un fardeau restreignant les choix de vie, aboutit souvent à une pratique religieuse relevant du « buffet », et donc à la sélection des rites ou des pratiques qui seront respectés et à l’évincement d’autres. Cette dissidence introduit « l’entre-lieu », ce moment où l’identité rejetée n’a pas encore donné lieu à la formulation d’une nouvelle et à l’intégration dans de nouveaux groupes et cadres, et interroge à long terme le bagage éthique et rituel à transmettre aux générations futures. L’expérience la plus extrême de ce remodelage est sans doute celle des sortants ultraorthodoxes, mais c’est plus largement toute la société israélienne qui est en mouvement, selon des dynamiques contradictoires : « retour vers la question » et vers l’orthodoxie – trajectoire souvent suivie par les nouveaux émigrés –, intégration dans la société laïque symbolisée par le déplacement de Jérusalem vers Tel-Aviv, ou encore transition vers un nationalisme juif exacerbé.
La diversité des trajectoires ne doit pas être occultée par les vociférations de l’extrémisme et du fondamentalisme d’une partie de la société israélienne. L’appartenance à cette société se bâtit sur une multitude de critères : ancienneté de la migration en terre d’Israël, défis de l’insertion professionnelle et de l’apprentissage d’une langue partagée, construction d’une identité confessionnelle et politique dans une société fortement polarisée, notamment autour des résistances internes à la colonisation des Territoires palestiniens occupés. La complexité des parcours individuels peut-elle faire espérer une progressive réconciliation entre laïcs et religieux en Israël, alors que le statu quo de 1948 perdure dans les institutions de l’État et que les autorités religieuses ont tout pouvoir sur des questions de souveraineté comme l’état civil ?
À l’heure actuelle, moins de 1 million d’individus, soit environ un Israélien sur dix, seraient ultra-orthodoxes, terme qui ne doit pas masquer la multiplicité des pratiques et des obédiences qu’il subsume. Le phénomène du « retour à la question » de jeunes adultes élevés dans les ghettos israéliens et éduqués dans les établissements scolaires religieux que sont les yeshivas, a vu la création d’associations comme Hillel, où l’auteur a débuté un bénévolat en 2012. Cette association vient en aide à ces jeunes ayant pris la décision de « sortir », de refuser le mode de vie aride et coupé du reste de la société que promettent à différents degrés les communautés ultra-orthodoxes. Au niveau des parcours individuels, cette sortie provoque souvent la rupture avec les cercles familiaux, amicaux et professionnels, causant déracinement et perte d’identité.
La décision individuelle du « retour à la question » n’est pas anodine pour la société israélienne dans son ensemble. Elle en interpelle les valeurs, souligne l’opposition entre sentiment d’appartenance à la judéité ou à Israël, par exemple en questionnant l’exemption de service militaire obligatoire faite aux ultra-orthodoxes. Elle commence également à être prise en compte par le gouvernement, rassemblé en coalition autour du Likoud, comme une question de santé publique, après des suicides de sortants.
L’abandon d’une identité ultraorthodoxe, vécue comme un fardeau restreignant les choix de vie, aboutit souvent à une pratique religieuse relevant du « buffet », et donc à la sélection des rites ou des pratiques qui seront respectés et à l’évincement d’autres. Cette dissidence introduit « l’entre-lieu », ce moment où l’identité rejetée n’a pas encore donné lieu à la formulation d’une nouvelle et à l’intégration dans de nouveaux groupes et cadres, et interroge à long terme le bagage éthique et rituel à transmettre aux générations futures. L’expérience la plus extrême de ce remodelage est sans doute celle des sortants ultraorthodoxes, mais c’est plus largement toute la société israélienne qui est en mouvement, selon des dynamiques contradictoires : « retour vers la question » et vers l’orthodoxie – trajectoire souvent suivie par les nouveaux émigrés –, intégration dans la société laïque symbolisée par le déplacement de Jérusalem vers Tel-Aviv, ou encore transition vers un nationalisme juif exacerbé.
La diversité des trajectoires ne doit pas être occultée par les vociférations de l’extrémisme et du fondamentalisme d’une partie de la société israélienne. L’appartenance à cette société se bâtit sur une multitude de critères : ancienneté de la migration en terre d’Israël, défis de l’insertion professionnelle et de l’apprentissage d’une langue partagée, construction d’une identité confessionnelle et politique dans une société fortement polarisée, notamment autour des résistances internes à la colonisation des Territoires palestiniens occupés. La complexité des parcours individuels peut-elle faire espérer une progressive réconciliation entre laïcs et religieux en Israël, alors que le statu quo de 1948 perdure dans les institutions de l’État et que les autorités religieuses ont tout pouvoir sur des questions de souveraineté comme l’état civil ?