Les Balkans, une géopolitique de la violence
Michel Sivignon Paris, Belin, 2009
Avec Les Balkans, une géopolitique de la violence, Michel Sivignon a tenté un pari difficile : donner à comprendre sur la longue durée et le temps présent, l’état des lieux des Balkans contemporains qui laisse les analystes incertains et les acteurs politiques perplexes, sinon déçus. Sa démarche croise histoire, géographie, et actualités politiques pour le chapitre 10, rapide, consacré à la perspective européenne. Un fait à signaler : l’auteur intègre les informations concernant Chypre et la fracture du Nord en 1974 dans cette réflexion dont les données principales portent sur l’ex-Yougoslavie. La présentation du texte est claire et l’apport des cartes au fil de la lecture très précieux. L’organisation du propos est plus discutable : le plan de l’ouvrage déroute.
Michel Sivignon reprend, ainsi, la réflexion sur le thème et le terme Balkans, expose le pourquoi des connotations négatives et leur évolution, situe le regard occidental sur cet orient de la « question d’Orient » qui n’est pas tout à fait « l’Orient ». Pourquoi cet exposé compris comme introductif n’est-il pas situé en ouverture du texte, mais seulement en chapitre 3 ? Le va et vient, au fil des pages entre l’histoire et le présent conduit à des redites qui sont nombreuses. L’on sent que la « balkanisation » des informations fournies n’a pas été tout à fait dominée.
Michel Sivignon a voulu conjuguer synthèse, vision globale, transnationale et connaissance extrêmement précise des spécificités. Il a tenté, pour donner à voir une représentation des frontières et des blessures qui lui sont liées, de se placer sur le terrain de la géographie physique et humaine tout en échappant au déterminisme. Il écrit : « Les caractéristiques physiques des territoires balkaniques pèsent de leur poids propre mais sont toutefois bien loin d’expliquer de manière satisfaisante leur évolution historique. Leur histoire est inscrite dans un cadre, mais elle n’est pas écrite par ce cadre. Déterminisme relatif, si cette expression a un sens » (p. 51). Est-ce pour échapper à ce déterminisme que l’étude des terres balkaniques n’intervient qu’au chapitre 4 ?
Pour apprécier le texte proposé, il nous semble qu’il faille non pas porter un regard d’ensemble sur le livre, mais étudier séparément chaque chapitre comme autant de fiches. Deux de ces fiches nous semblent très lacunaires : une page et demi pour la présentation des Roms ou Tsiganes et moins d’une page traitant des juifs dans les Balkans. Pas une ligne sur l’antisémitisme de la Roumanie, par exemple sur le poids de cette mémoire, sur la société d’aujourd’hui. Pas un mot sur la mutation démographique que la quasi-disparition de la communauté juive a entraîné.
Si la relecture des étapes historiques de la déconstruction de la Yougoslavie est claire, mais sans apport nouveau après les travaux de J. Krulic en particulier, ce sont les pages qui portent sur les terres et les peuples balkaniques à travers les cartes qui emporteront l’adhésion du lecteur (chapitre 4 et chapitre 8). Michel Sivignon passionne lorsqu’il revient sur l’histoire de la cartographie, sur les dérives cartographiques produits des idéologies et des affinités sous-jacentes. Reprendre, à travers les débats sur la cartographie, l’évolution du congrès de Berlin de 1878 et les décisions finales, est une démarche qui éclaire indirectement le rôle des grandes puissances et de leurs intérêts en cet espace. Les précisions fournies (p. 39) sur les essais de mise à jour aujourd’hui des atlas nationaux et des atlas à usage scolaire en disent long à la fois sur les crispations nationalistes et sur la fluidité des mouvements de population : « Dans l’atlas scolaire de Serbie, plusieurs cartes sont consacrées à la description de la Bosnie-Herzégovine. Elles se limitent à la Republica Srpska et la Fédération Bosno-croate apparaît en blanc, telle une terra incognita » (p. 139).
Avec l’ouvrage de Michel Sivignon, le lecteur dispose donc d’éléments nouveaux qui aideront à une réflexion nuancée sur les sociétés des Balkans contemporains. Le pari, la réalisation d’une synthèse où les enjeux politiques seraient décortiqués, n’est pas gagné. Certaines étapes, la conférence de Rambouillet de 1999 par exemple, sont pratiquement évacuées, et le rôle des États-Unis depuis 1994 n’est pas analysé. Notons que la bibliographie qui laisse une place importante aux études et ouvrages anciens de géographes aide à faire évoluer de manière plurielle la connaissance des Balkans.