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Les armes nucléaires ont-elles un avenir ?
François Heisbourg (dir.) Paris, Odile Jacob, 2011, 190 p.
A l’époque de la Guerre froide, tout était simple : le « duopole nucléaire » garantissait une paix paradoxale, fondée sur l’équilibre de la terreur. Depuis la chute du mur de Berlin, tout s’est compliqué : la paix est certes devenue moins impossible, mais la guerre, fût-elle nucléaire, est moins improbable. Voilà près de vingt ans que Lucien Poirier diagnostiquait une « crise des fondements » dont le nucléaire n’est toujours pas sorti.
Les experts réunis autour de François Heisbourg, président de l'International Institute for Strategic Studies et conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique, partagent ce constat : l’âge d’or de la dissuasion nucléaire est derrière nous.
En Asie, les risques de guerre nucléaire s’accroissent avec le nombre d’acteurs. La nucléarisation de la Corée du Nord suscite les inquiétudes du Japon, son éventuel franchissement du seuil nucléaire fournit un prétexte à la Chine pour enrichir sa panoplie (François Godement). En Asie du Sud, Indiens et Pakistanais sont sortis de l’ambiguïté en affichant leur statut nucléaire et font l’apprentissage délicat de la dissuasion (Sir Hilary Synnott). Mais c’est au Moyen-Orient que la situation est la plus explosive, la pluralité des acteurs, des intérêts et des lignes de fracture rendant quasi-impossible la gestion de crises nucléaires (Ariel E. Levite). L’acquisition par l’Iran d’une capacité nucléaire mettrait en danger la stabilité régionale. Il s’agit d’un des dossiers les plus brûlants de l’après-Guerre froide et la communauté internationale ne doit pas ménager ses efforts pour y trouver une issue pacifique.
L’augmentation des risques nucléaires s’est accompagnée d’une nouvelle priorité donnée au désarmement. Le temps n’est plus où cette proposition utopique n’était avancée que par quelques belles âmes idéalistes. L’initiative Global Zero lancée en décembre 2008 a fait un émule illustre en la personne du Président américain qui, à Prague, en mai 2009, a promis d’œuvrer « en faveur d’un monde débarrassé des armes nucléaires ». Le désarmement nucléaire « général et complet » évoqué dans le Traité de non-prolifération (TNP) n’est plus une promesse platonique. Comme l’illustre la dernière conférence d’examen du TNP de 2010, sa mise en œuvre par les États dotés de l’arme nucléaire est une condition nécessaire à l’adhésion des États non dotés à un régime de non-prolifération réellement efficace.
C’est dans ces conditions que se pose avec une acuité accrue la question de « l’avenir incertain » (F. Heisbourg) de la dissuasion française. La proposition visionnaire de Barack Obama s’est rapidement attirée une riposte cinglante de Nicolas Sarkozy. En opposant le « monde virtuel du désarmement » au « monde réel de la dissuasion », le chef de l’État français, au risque de faire figure de « dernier des Mohicans » (Camille Grand), a exprimé ses doutes sur la perspective abolitionniste. Même après le retour dans l’OTAN, le « sarkozysme nucléaire », exposé dans le discours de Cherbourg du 21 mars 2008, ne s’éloigne pas du dogme gaulliste. Il bénéficie d’un soutien inentamé dans l’opinion publique et dans la classe politique. Mais il est de plus en plus isolé en Europe, entre une Allemagne qui n’hésite pas à afficher ses préférences abolitionnistes et un Royaume-Uni au sein duquel l’avenir de la dissuasion, malgré les promesses de David Cameron, est loin d’être assuré (Bruno Tertrais). Si l’entrée en service du missile mer-sol M51 – dont la portée permet d’atteindre l’Asie – et du missile aéroporté ASMP-A garantit la crédibilité de la dissuasion française jusqu’en 2030, la question des programmes de relève devra être tranchée entre 2015 et 2020. Faute de s’inscrire dans une dimension européenne concertée – la portée du traité franco-britannique de décembre 2010 doit être relativisée – la dissuasion française, trop isolée, court le risque de « l’étiolement » (Louis Gautier) à l’heure du retrait d’Europe des derniers B-61 américains et de la mise en œuvre d’un bouclier anti-missiles.