See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Les Arabes et la Shoah
Gilbert Achcar Paris, Actes Sud, 2009, 528 p.
Gilbert Achcar, enseignant-chercheur à l’Université de Londres, publie chez Actes Sud Les Arabes et la Shoah, un ouvrage de 528 pages dont une vingtaine est consacrée à la présentation d’une riche bibliographie. L’objectif ambitieux de l’auteur est d’analyser la complexité des rapports entre la Shoah et les Arabes en appréhendant ces derniers dans toute leur diversité. Après quelques éclaircissements terminologiques sur la Shoah, le génocide et le colonialisme, l’auteur propose une analyse en deux parties.
La première partie est consacrée aux réactions des Arabes face à l’antisémitisme et à la Shoah de 1933 à 1947. Des occidentalistes libéraux aux panislamistes intégristes en passant par les nationalistes, Gilbert Achcar étudie en détail les différentes positions assumées par les Arabes en s’appuyant sur un large éventail de sources primaires. Loin des polémiques suscitées par son objet d’étude, l’auteur montre que, selon leur courant idéologique et politique, des Arabes, tels que les occidentalistes libéraux, ont condamné sans appel la Shoah alors que d’autres, tels que les intégristes, ont vu dans l’antisémitisme nazi une opportunité sans précédent de lutter contre ce qu’ils considéraient comme un ennemi commun. L’objectif de l’auteur est ici de démontrer que si certains groupes arabes sont apparus comme des alliés de fait des nazis et méritent d’être condamnés, d’autres sont en revanche victimes d’une manipulation de l’histoire et d’une diabolisation qui ne rend pas hommage à leur engagement contre le nazisme et l’extermination du peuple juif.
Dans la deuxième partie, l’auteur aborde la question de la perception de la Shoah par les Arabes de 1948 à nos jours tout en la mettant en perspective avec la Nakba, qui fait référence aux conséquences de la guerre israélo-arabe de 1948 durant laquelle les Arabes israéliens ont fui leurs terres et n’ont pu y revenir. Là encore, les attitudes les plus diverses sont observées, allant de l’antisémitisme du Hezbollah à l’engagement de grands auteurs arabes dans la condamnation de la Shoah et du négationnisme.
Au-delà de la recherche universitaire, cet ouvrage prend aussi une dimension personnelle et l’auteur fait de multiples références à son histoire familiale et à la position sans équivoque de son père, universitaire libanais, dans la dénonciation du nazisme. L’implication personnelle n’empêche pas Gilbert Achcar de manifester un souci constant d’objectivité et de distance critique. Apportant une réponse claire à la problématique, il parvient à l’objectif qu’il s’était fixé : démontrer que les Arabes n’ont pas constitué un bloc monolithique face à la Shoah et qu’il convient de se garder de toute généralisation. Pour l’auteur, la reconnaissance mutuelle de la Shoah et de la Nakba est une condition indispensable à la paix au Moyen-Orient. Il s’agit là d’une vision également défendue par l’intellectuel palestinien Edward Saïd. Les Arabes et la Shoah est donc à la fois un ouvrage universitaire et un plaidoyer qui invite à fuir les stéréotypes et les raccourcis historiques. L’objectivité n’est pas absolue (les différences entre Shoah et Nakba tendent parfois à être légèrement gommées) mais la lecture de cet opus s’avère indispensable à quiconque souhaite comprendre la complexité de l’histoire arabe contemporaine et le caractère protéiforme des relations entre Juifs et Arabes.