L’Empire, la démocratie, le terrorisme
Eric J. Hobsbawm Paris, André Versaille éditeur-Le Monde diplomatique, 2009, 179 p.
L’auteur de l’une des plus roboratives réflexions sur l’émergence des nations et du nationalisme, sur l’apparition et la dégénérescence des empires, puis sur « l’âge des extrêmes » qu’a été le « court xxe siècle » poursuit son œuvre d’historien entamée en 1959 par la publication des Primitifs de la révolte dans l’Europe moderne. Eric Hobsbawm définit son objet dès le préambule : observer, analyser et comprendre la situation du monde au début de ce troisième millénaire en prenant « le plus de recul possible avec l’histoire immédiate pour la replacer dans un contexte plus large et une perspective plus longue ». Celle-ci s’inscrit d’abord dans « la période la plus extraordinaire de l’histoire de l’humanité », le xxe siècle. Ce siècle a conjugué les paradoxes, « alliant des catastrophes humaines sans précédent, une amélioration matérielle substantielle », avec la capacité inédite à transformer la planète sinon à la détruire, et même s’en échapper ». L’historien rappelle aussi son « hostilité à l’impérialisme » et sa « méfiance légitime à l’égard de la mégalomanie, cette maladie des États et des dirigeants qui croient leur pouvoir et leur réussite sans limite ».
Eric Hobsbawm veut éclairer cinq domaines qui marquent le début du troisième millénaire : la question de la guerre et de la paix, le passé et l’avenir des empires mondiaux, la nature et les mutations du nationalisme, l’avenir des démocraties libérales et le problème de la violence politique et du terrorisme. Les réponses s’appuient sur les évènements qui ont découlé de la décision « prise par le gouvernement américain en 2001 de briguer une hégémonie mondiale, en dénonçant les conventions internationales acceptées jusqu’alors, et en se réservant le droit de déclencher des guerres d’agression ou d’autres opérations militaires quand il le souhaite – et de le faire ».
E. Hobsbawm considère que la guerre au xxe siècle ne peut être traitée du point de vue chronologique ou géographique comme une question monolithique. Deux périodes majeures peuvent être distinguées : l’ère de la guerre mondiale puis celle de la confrontation entre superpuissances. Les conflits interétatiques ont dominé dans les deux cas. Mais la désintégration de l’URSS a renforcé l’instabilité internationale, accru l’influence des acteurs privés polymorphes sur la scène mondiale, modifié la structure des conflits et amplifié la confusion entre les opérations de guerre et de police, notamment face au terrorisme. Les conventions acceptées dans le cadre du système des puissances ont laissé la place à des confrontations rappelant les « guerres de religions » en Europe. La « mondialisation a progressé dans presque tous les domaines » avec une exception : « les États nations demeurent politiquement et militairement les ultimes autorités effectives ». Parmi la « poignée d’États qui comptent », les « États-Unis sont les plus puissants ». Ce sont eux qui ajoutent le chaos au désordre par leur volonté de maintenir leur hégémonie sur le monde. Mais l’époque de la résolution des conflits par des « redditions inconditionnelles » est aujourd’hui révolue, l’unilatéralisme aussi.
Une seule superpuissance ne peut donc compenser l’absence d’une autorité mondiale, « véritable intermédiaire international, neutre et habilité à prendre des initiatives sans l’autorisation du Conseil de sécurité ». Pour y aboutir il faut repenser les fondements des relations internationales. Concernant la démocratie, celle-ci est irréductible à ses mécanismes électoraux et, encore moins, « exportable ». Ressusciter les « terreurs apocalyptiques » de la guerre froide ne résoudra pas la « véritable crise mondiale dont les nouvelles formes de violence politique sont l’expression ». Il faut contextualiser le terrorisme afin de réduire les grandes nervosités qui s’y trouvent corrélées et notamment l’amalgame avec l’islam. Dans ce domaine, comme en économie d’ailleurs, la politique impériale américaine de l’ère Bush a aggravé les tensions. E. Hobsbawm considère que l’objectif principal, dès lors, est de signifier ses limites à la puissance américaine, bref de « contenir, ou du moins d’éduquer ou de rééduquer les États-Unis ».