See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
L’empire des sports. Une histoire de la mondialisation culturelle
Pierre Singaravelou et Julien Sorez (dir.), Paris, Belin, coll. Histoire & Société, 2010, 300 p.
Les sports sont enfin devenus un sujet d’histoire. Julien Sorez, jeune coordinateur de cet ouvrage collectif, a consacré au football parisien du début du xxe siècle une thèse remarquée, dirigée par Jean-François Sirinelli. Paul Dietschy, l’un des contributeurs, a livré chez Perrin, au moment du Mondial sud-africain, une ambitieuse « histoire du football ». Le temps n’est plus où l’on considérait les sports comme un sujet d’étude frivole et où l’on se riait de ceux qui se piquaient de leur appliquer des grilles de lecture réservées à des sujets plus « sérieux ».
Cet ouvrage, qui rassemble les contributions de chercheurs français et anglo-saxons, s’intéresse à la diffusion des sports à travers le monde. Il bat en brèche les théories de l’impérialisme culturel qui réduisent les pratiques sportives occidentales à un instrument déguisé de domination et d’exploitation. Certes des sports « impériaux » se sont diffusés : le football ou le cricket depuis l’Angleterre, le baseball ou le basketball depuis les États-Unis. Cette diffusion renvoyait à différents types de techniques de domination coloniale : le développement d’un entre-soi colonial réservé aux blancs (la pratique du rugby ou du cricket en Afrique du Sud dont les Noirs étaient exclus) ou l’association des peuples colonisés à des pratiques sportives intégratrices (le football en Algérie française).
Mais on se tromperait en imaginant que les peuples dominés ont subi passivement cette importation. Leur résistance a revêtu plusieurs formes.
Dans certains cas, le sport occidental a été purement et simplement rejeté : le football, qui induisait des contacts corporels trop violents et l’usage d’un ballon en cuir réprouvé par l’hindouisme, n’a jamais trouvé sa place en Inde. Mais ces cas sont minoritaires, la pratique sportive constituant pour le colonisé un moyen de s’assimiler au colonisateur.
Dans d’autres, au contraire, les dominés se sont emparés du sport occidental pour dépasser leurs dominateurs : c’est la victoire d’une équipe japonaise de baseball sur son adversaire américain en 1896 qui annonce l’émergence du Japon sur la scène mondiale (huit ans avant la guerre russo-japonaise).
Plus significative encore est la réappropriation par les populations colonisées de pratiques sportives qu’elles décident librement d’adopter. C’est là, à rebours de la thèse de l’impérialisme culturel, que se manifeste le plus l’autonomie des pratiques sportives coloniales. Les Australiens pratiquent un cricket plus viril que les Anglais qui les y ont initiés. Sous leur influence, l’accent mis par les Anglais sur le fair-play disparaît, laissant la place à un affrontement plus compétitif. De la même façon, les Sud-Américains développent une pratique du football différente du kick-and-rush anglais, composée de passes courtes et de dribbles individuels. Ce style deviendra la marque de fabrique de la Seleçao brésilienne.
Il est enfin certains cas d’impérialisme inversé où l’on voit des sports non occidentaux faire le chemin inverse et s’imposer en Occident. C’est le cas du judo – qui fut la première discipline non occidentale inscrite aux Jeux olympiques de 1964 – mais aussi du polo, du badminton, du snooker, du hockey…
Le spectre est donc large et révèle la richesse de cette géopolitique des sports encore à conceptualiser. Une géopolitique qui ne se bornerait pas à décrire comment les sports se diffusent mais s’intéresserait aux raisons de cette diffusion.