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L’empire au miroir. Stratégies de puissance aux États-Unis et en Russie
Didier Chaudet, Florent Parmentier, Benoît Pélopidas Genève/Paris , Librairie Droz, 2007, 248 p.
Dans un contexte international marqué par une opposition qui semble de plus en plus systématique entre la Russie et les États-Unis, mais aussi par un recours à des schémas d’analyse souvent simplifiés pour expliquer ces désaccords, c’est à une réflexion approfondie sur deux stratégies de puissance que nous convie L’Empire au miroir. Deux logiques impériales pour les anciens adversaires de la guerre froide, qui, confrontés à l’affirmation de nouveaux pôles dans le système international (Chine, Inde), restent les seules puissances d’envergure mondiale. Deux logiques impériales soutenues par deux mouvances intellectuelles que l’ouvrage s’attache à étudier : les néoconservateurs aux États-Unis et les néo-eurasistes en Russie.
La démarche comparative des auteurs s’articule autour de trois points.
Ils s’attachent tout d’abord à élucider ce que recouvre le terme « néo » et à retracer la généalogie des deux mouvances, pour montrer en quoi, aujourd’hui, elles s’inspirent ou se différencient des mouvements qui ont initialement porté leur nom. Situés d’abord à gauche sur l’échiquier politique américain, les néoconservateurs ont progressivement glissé vers la droite, tout en gardant leur particularité dans ce camp. Cette spécificité est justement liée à leur approche des relations internationales, véritable fil conducteur de ce courant de pensée, fondée sur l’idée d’un exceptionnalisme ou d’un providentialisme américain. La filiation entre l’eurasisme et le néo-eurasisme est moins nette. D’abord parce que l’eurasisme relève davantage d’une sensibilité spirituelle, qui à la suite du slavophilisme et du panslavisme, réaffirme l’altérité de la Russie, tout en l’inscrivant dans l’espace eurasien. Mouvement en gestation dans l’URSS finissante, le néo-eurasisme, qui s’est progressivement diffusé dans le champ politique à partir des années 1990, met l’espace eurasiatique au service du destin national et d’un statut de grande puissance. Cet itinéraire intellectuel parallèle permet de conclure à l’influence des deux mouvements dans leurs pays respectifs.
Dès lors, les auteurs s’interrogent sur la relation de ces mouvances au concept d’empire, qu’ils caractérisent notamment par « l’actualisation permanente par une communauté politique du récit de sa vocation historique ». En quoi néoconservateurs et néo-eurasistes contribuent-ils à nourrir ce récit ? Chez les néoconservateurs, la mobilisation en faveur du projet impérial s’appuie sur l’interventionnisme, compris comme la volonté de transformer le monde et de perpétuer la suprématie américaine ; il s’agit d’un « nationalisme pseudo-impérial ». Quant aux néo-eurasistes, ils « se veulent une synthèse intellectuelle entre la « Sainte Russie » et le vieux messianisme nationaliste, l’expérience du bolchevisme et de la puissance mondiale ». En somme, ils proposent un projet géopolitique qui relève d’une politique de puissance classique – « nationalisme hégémonique » – plus que d’une prétention à l’universalisme.
Comment ces discours se traduisent-ils dans la politique étrangère des deux pays ? En prenant comme études de cas le monde turcophone (Turquie et Asie centrale) et le Moyen-Orient, les auteurs mettent en lumière les contradictions sous-jacentes des deux mouvements. Ainsi, dans la zone turcophone, la défense de la démocratie, pierre angulaire du discours néoconservateur, ne reçoit en pratique qu’une attention limitée ; et la vocation impériale de la Russie, affirmée par les néo-eurasistes, se limite à la défense de ses intérêts dans son « étranger proche ». En dépit de l’impact de ces deux mouvements et de leur diffusion aux États-Unis et en Russie, les auteurs concluent donc à leur échec en tant que projets impériaux. Un échec lié à leur conception même de l’empire, imprégnée de ressentiment dans les deux cas, qui ne permet pas d’implanter les projet impériaux.