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Le viol d’Europe. Enquête sur la disparition d’une idée
par Robert Salais - Paris, Presses universitaires de France, 2013, 432 pp.
La crise multiforme que traverse l’Union européenne (UE) depuis 2008 aura eu pour avantage d’obliger les spécialistes de l’intégration européenne à s’intéresser à l’économie, et d’obliger les économistes à s’intéresser à l’UE. L’ouvrage de Robert Salais s’ajoute ainsi à d’autres travaux d’économistes – parmi lesquels Michel Aglietta ou Jacques Sapir pour ne citer qu’eux –, souvent critiques mais aux conclusions parfois différenciées, tentant de donner des clés de compréhension aux difficultés rencontrées par l’UE.
Économiste et chercheur associé au laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie (IDHE) de l’École normale supérieure (ENS) de Cachan ainsi qu’au Centre Marc Bloch de Berlin, l’auteur propose une relecture de l’intégration européenne, dont il considère qu’elle s’est caractérisée par un « divorce entre l’Idée au nom de laquelle tout est fait et la réalité de ce qui se passe » (p. 16). L’« Idée », sans être énoncée comme telle, est celle d’une Europe politique, économique et sociale, intégrée mais au service et à l’écoute des peuples et des nations qui la composent. La « réalité » est un portrait sombre dressé de l’UE par l’auteur : une Europe abandonnée aux forces de l’ultralibéralisme marchand et financier, prisonnière d’une vision erronée du libre-échange et de la libre concurrence, et de plus en plus éloignée des peuples.
Pour argumenter ce diagnostic cinglant, effectué notamment au regard de la crise de la zone euro et des actions entreprises par les États membres dans sa gestion, R. Salais mobilise essentiellement une approche par l’histoire économique. La première partie de l’ouvrage (« L’enfance d’Europe, ou l’histoire de l’origine», pp. 25-185) analyse ainsi la façon dont les rêves et velléités d’unification du continent européen des années 1930 et 1940 ont fait place, au tournant des années 1940-1950, à une construction européenne essentiellement technique et bureaucratique destinée à répondre aux impératifs de l’ordre libéral instauré dans la foulée des accords de Bretton Woods. À partir de ce qui est présenté ici comme un péché originel de la construction européenne, la deuxième partie de l’ouvrage (« L’enlèvement de l’Europe ou la disparition de l’idée », pp.187-360) analyse les évolutions de la Communauté économique européenne (CEE) puis de l’Union européenne comme un processus n’ayant fait que conforter et accentuer ce détournement initial de l’idée européenne. Le long chemin vers l’Union économique et monétaire (UEM) et l’UE d’aujourd’hui se résume ainsi au jeu d’acteurs européens dont il est affirmé que « croyant faire l’Europe, ils installèrent les conditions d’une disparition de l’idée d’Europe» (p. 187).
On pouvait reprocher il y a quelques années encore à la littérature sur l’intégration européenne d’être très largement convergente et acritique, et donc quelque peu ennuyeuse. La multiplication de contributions comme ce viol d’Europe, critiques sur l’Union telle qu’elle va tout en étant favorables au principe de construction européenne, est donc plutôt stimulante. De même, il est toujours utile de rappeler l’intensité et l’inventivité des débats européens de l’après-guerre, notamment au regard des enlisements institutionnels et politiques actuels. Enfin, rappeler le danger et l’inefficience d’une Europe de la monnaie sans Europe sociale, économique et fiscale, à défaut d’être novateur, est toujours bienvenu. Ce faisant, ce portrait à charge contre l’UE s’expose parfois au risque d’une histoire écrite à partir des enseignements du présent et de la crise de l’euro. Une histoire dans laquelle des contraintes politiques objectives ayant pesé et pesant sur les acteurs jugés comme ayant détruit l’idée d’Europe (environnement géopolitique, pressions contradictoires des opinions publiques, etc.) sont peut-être insuffisamment prises en compte.
Économiste et chercheur associé au laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie (IDHE) de l’École normale supérieure (ENS) de Cachan ainsi qu’au Centre Marc Bloch de Berlin, l’auteur propose une relecture de l’intégration européenne, dont il considère qu’elle s’est caractérisée par un « divorce entre l’Idée au nom de laquelle tout est fait et la réalité de ce qui se passe » (p. 16). L’« Idée », sans être énoncée comme telle, est celle d’une Europe politique, économique et sociale, intégrée mais au service et à l’écoute des peuples et des nations qui la composent. La « réalité » est un portrait sombre dressé de l’UE par l’auteur : une Europe abandonnée aux forces de l’ultralibéralisme marchand et financier, prisonnière d’une vision erronée du libre-échange et de la libre concurrence, et de plus en plus éloignée des peuples.
Pour argumenter ce diagnostic cinglant, effectué notamment au regard de la crise de la zone euro et des actions entreprises par les États membres dans sa gestion, R. Salais mobilise essentiellement une approche par l’histoire économique. La première partie de l’ouvrage (« L’enfance d’Europe, ou l’histoire de l’origine», pp. 25-185) analyse ainsi la façon dont les rêves et velléités d’unification du continent européen des années 1930 et 1940 ont fait place, au tournant des années 1940-1950, à une construction européenne essentiellement technique et bureaucratique destinée à répondre aux impératifs de l’ordre libéral instauré dans la foulée des accords de Bretton Woods. À partir de ce qui est présenté ici comme un péché originel de la construction européenne, la deuxième partie de l’ouvrage (« L’enlèvement de l’Europe ou la disparition de l’idée », pp.187-360) analyse les évolutions de la Communauté économique européenne (CEE) puis de l’Union européenne comme un processus n’ayant fait que conforter et accentuer ce détournement initial de l’idée européenne. Le long chemin vers l’Union économique et monétaire (UEM) et l’UE d’aujourd’hui se résume ainsi au jeu d’acteurs européens dont il est affirmé que « croyant faire l’Europe, ils installèrent les conditions d’une disparition de l’idée d’Europe» (p. 187).
On pouvait reprocher il y a quelques années encore à la littérature sur l’intégration européenne d’être très largement convergente et acritique, et donc quelque peu ennuyeuse. La multiplication de contributions comme ce viol d’Europe, critiques sur l’Union telle qu’elle va tout en étant favorables au principe de construction européenne, est donc plutôt stimulante. De même, il est toujours utile de rappeler l’intensité et l’inventivité des débats européens de l’après-guerre, notamment au regard des enlisements institutionnels et politiques actuels. Enfin, rappeler le danger et l’inefficience d’une Europe de la monnaie sans Europe sociale, économique et fiscale, à défaut d’être novateur, est toujours bienvenu. Ce faisant, ce portrait à charge contre l’UE s’expose parfois au risque d’une histoire écrite à partir des enseignements du présent et de la crise de l’euro. Une histoire dans laquelle des contraintes politiques objectives ayant pesé et pesant sur les acteurs jugés comme ayant détruit l’idée d’Europe (environnement géopolitique, pressions contradictoires des opinions publiques, etc.) sont peut-être insuffisamment prises en compte.