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Le Temps de l’Afrique
Jean-Michel Sévérino et Olivier Ray Odile Jacob, Paris, 2010, 345 p.
Jean-Michel Sévérino est une personnalité atypique. Tandis que ses camarades de promotion de l’ENA ont fait carrière dans la politique ou dans l’entreprise, cet inspecteur des finances surdoué a passé sa vie en Afrique. Il lui consacre un livre à la veille de son départ de l’Agence française de développement (AFD) qu’il a dirigé pendant près de dix ans[1].
Il a l’élégance de le co-signer avec Olivier Ray, le jeune collaborateur qui lui a servi de « nègre ». Pour autant, au « nous » un peu artificiel qui ponctue le propos, on aurait préféré un « je » plus personnel. Hélas, Jean-Michel Sévérino ne brise pas facilement la carapace du haut fonctionnaire tenu par l’obligation de réserve. On cherchera en vain dans ce livre très dense des anecdotes personnelles ou a fortiori des dispositions testamentaires pour son successeur à la tête de l’AFD, Dov Zerah, dont on sait quels débats houleux sa nomination a suscités. Ce livre ne parle ni de son auteur, ni même de l’AFD. L’intérêt que suscite sa lecture en est d’autant diminué. Mais il parle de l’Afrique. Et il en parle fort bien.
L’ouvrage est composé de 23 chapitres réunis en 8 parties. Pour autant, il évite le piège de l’éparpillement ou de l’empilement qu’un plan aussi éclaté laissait redouter. Bien qu’il s’en défende, il s’inscrit résolument dans la veine afro-optimiste. Cette orientation n’est ni un vœu pieu ni une exhortation. Si « le temps de l’Afrique » est venu, soutiennent Jean-Michel Sévérino et Olivier Ray, c’est pour des motifs objectifs. Sa démographie permet en effet à ce continent longtemps sous-peuplé d’atteindre enfin la « masse critique » qui lui manquait pour se développer ; la constitution d’une classe moyenne favorise l’investissement économique et l’enracinement démocratique ; ses richesses naturelles renforcent son attractivité à une époque caractérisée par la raréfaction des ressources.
Les auteurs évitent le piège de la généralisation qui consiste, comme on le fait trop souvent, à parler de l’Afrique au singulier. Si l’on suit la typologie convaincante qu’ils proposent, il n’y a pas une Afrique, mais trois : l’Afrique rentière menacée par la « malédiction des ressources naturelles », l’Afrique fragile avec ses États prédateurs et ses États fantômes et l’Afrique qui gagne pour des motifs toujours contingents dont il serait illusoire de déduire un modèle unique de développement, un « one best way ».
La hauteur de vues dont fait preuve J.-M. Sévérino est admirable. Elle témoigne d’une vraie connaissance des réalités africaines et d’un sincère attachement à ce continent dont est exclu le paternalisme qui souvent hélas va de pair avec lui. Mais on regrette que cette hauteur de vues confine parfois à l’auto-censure. Quand J.-M. Sévérino reproche à l’Europe de « rater le virage d’un continent qui ne nous attend plus » et d’entretenir avec lui « des relations compassionnelles faibles teintées, ça et là, de relents de culpabilité postcoloniale » (p. 302), est-ce de la France qu’il nous parle ? Quand il dénonce les anthropologues coloniaux qui enfermèrent l’âme nègre dans un présent sans histoire, pourquoi ne nous livre-t-il pas son opinion sur le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy ? Quand il appelle de ses vœux une relation débarrassée des « relents moribonds de la Françafrique » (p. 311), pourquoi ne cite-t-il pas Robert Bourgi ? Prudence excessive ou souci sincère et louable d’élever le débat ?
[1] À noter également la sortie début 2010 sous sa signature d’un petit ouvrage, co-rédigé avec l’ancien numéro deux de l’AFD, Jean-Michel Debrat, intitulé L’Aide au développement (Le cavalier bleu).