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Le syndrome pakistanais
par Christophe Jaffrelot - Paris, Fayard, 2013, 664 p.
L’image que l’on a du Pakistan se réduit souvent à quelques clichés simplificateurs : un pays né de la partition sanglante du Raj britannique dont la rivalité, désormais nucléaire, avec l’Inde constitue l’un des foyers d’instabilité les plus dangereux au monde ; un systeme politique caractérisé par la succession quasi métronomique de coups d’État militaires (Ayub Khan en 1958, Muhammad Zia ul-Haq en 1977, Pervez Musharraf en 1999) et de fragiles démocraties (Zulfikar Ali Bhutto en 1970, Benazir Bhutto en 1988, Asif Zardari en 2008) ; et une société travaillée par des forces islamistes liées pour certaines aux talibans afghans et à Al-Qaida.
Probablement le meilleur spécialiste français de l’Asie du Sud, Christophe Jaffrelot cherche la clé du syndrome pakistanais dans l’histoire et la sociologie de ce pays. Cette instabilité multisectorielle s’articule autour de trois contradictions. La première concerne la construction paradoxale du Pakistan : nationalistes sans nation, les fondateurs du « pays des Purs », Muhammad Ali Jinnah en tête, ont construit un État unitaire, musulman et ourdouphone, sourd aux revendications autonomistes des groupes ethniques sindhi, baloutche, pachtoun ou mohajir. La deuxième concerne le régime marqué du sceau de l’autoritarisme dans la veine de la gouvernance « vice-royale » mise en place sous la colonisation. C. Jaffrelot met en garde contre la tentation d’opposer des civils démocrates à des militaires autocrates. L’histoire du Pakistan est, certes, marquée par la répétition de coups d’État militaires, mais les civils ont une responsabilité importante dans l’échec de la démocratie. La troisième contradiction concerne, enfin, la place de la religion. Tout au long de l’histoire du Pakistan, deux conceptions se sont opposées quant au rôle de l’islam : d’un côté celle des « sécularistes », qui considèrent l’islam moins comme une religion que comme un marqueur identitaire et territorial, de l’autre celle des fondamentalistes, qui revendiquent l’instauration d’un État islamique.
C. Jaffrelot invite à une lecture sociologique de ces trois dimensions du syndrome pakistanais. Historiquement, le Pakistan est, en effet, le projet d’une élite musulmane déclassée, décidée à défendre ses intérêts face à la majorité hindoue. Il s’est construit face à l’Inde dans le refus de la règle démocratique – qui aurait fait le jeu des hindous face aux musulmans – et n’a pas su s’y rallier ensuite, ce qui conduisit notamment à l’indépendance du Bangladesh en 1971. Il consiste aujourd’hui en un establishment civilo-militaire composé de quelque 2 000 familles dont l’objectif prioritaire est la perpétuation de son statut dominant. Il n’a pas hésité, sous Z. A. Bhutto puis sous M. Zia ul-Haq, à instrumentaliser l’islam, quitte à créer des mouvements fanatisés dont le contrôle lui échappe.
L’ouvrage de C. Jaffrelot est – n’ayons pas peur des superlatifs – un chef-d’œuvre. Le syndrome pakistanais est un livre d’une grande unité aux frontières de trois genres littéraires en sciences sociales. Il s’agit, d’abord, d’un magistral ouvrage de synthèse de plus de 600 pages, rédigé à partir d’une littérature foisonnante et de sources de première main. C’est, ensuite, une histoire du Pakistan contemporain, mais qui préfère un découpage thématique à une présentation platement chronologique. Il s’agit, enfin, d’un essai qui défend une thèse aussi simple que subtile : le syndrome pakistanais se comprend par la sociologie de ses élites.
Probablement le meilleur spécialiste français de l’Asie du Sud, Christophe Jaffrelot cherche la clé du syndrome pakistanais dans l’histoire et la sociologie de ce pays. Cette instabilité multisectorielle s’articule autour de trois contradictions. La première concerne la construction paradoxale du Pakistan : nationalistes sans nation, les fondateurs du « pays des Purs », Muhammad Ali Jinnah en tête, ont construit un État unitaire, musulman et ourdouphone, sourd aux revendications autonomistes des groupes ethniques sindhi, baloutche, pachtoun ou mohajir. La deuxième concerne le régime marqué du sceau de l’autoritarisme dans la veine de la gouvernance « vice-royale » mise en place sous la colonisation. C. Jaffrelot met en garde contre la tentation d’opposer des civils démocrates à des militaires autocrates. L’histoire du Pakistan est, certes, marquée par la répétition de coups d’État militaires, mais les civils ont une responsabilité importante dans l’échec de la démocratie. La troisième contradiction concerne, enfin, la place de la religion. Tout au long de l’histoire du Pakistan, deux conceptions se sont opposées quant au rôle de l’islam : d’un côté celle des « sécularistes », qui considèrent l’islam moins comme une religion que comme un marqueur identitaire et territorial, de l’autre celle des fondamentalistes, qui revendiquent l’instauration d’un État islamique.
C. Jaffrelot invite à une lecture sociologique de ces trois dimensions du syndrome pakistanais. Historiquement, le Pakistan est, en effet, le projet d’une élite musulmane déclassée, décidée à défendre ses intérêts face à la majorité hindoue. Il s’est construit face à l’Inde dans le refus de la règle démocratique – qui aurait fait le jeu des hindous face aux musulmans – et n’a pas su s’y rallier ensuite, ce qui conduisit notamment à l’indépendance du Bangladesh en 1971. Il consiste aujourd’hui en un establishment civilo-militaire composé de quelque 2 000 familles dont l’objectif prioritaire est la perpétuation de son statut dominant. Il n’a pas hésité, sous Z. A. Bhutto puis sous M. Zia ul-Haq, à instrumentaliser l’islam, quitte à créer des mouvements fanatisés dont le contrôle lui échappe.
L’ouvrage de C. Jaffrelot est – n’ayons pas peur des superlatifs – un chef-d’œuvre. Le syndrome pakistanais est un livre d’une grande unité aux frontières de trois genres littéraires en sciences sociales. Il s’agit, d’abord, d’un magistral ouvrage de synthèse de plus de 600 pages, rédigé à partir d’une littérature foisonnante et de sources de première main. C’est, ensuite, une histoire du Pakistan contemporain, mais qui préfère un découpage thématique à une présentation platement chronologique. Il s’agit, enfin, d’un essai qui défend une thèse aussi simple que subtile : le syndrome pakistanais se comprend par la sociologie de ses élites.