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Le roi prédateur
Catherine Graciet et Eric Laurent Seuil, Paris, 2012, 220 p.
Les deux journalistes, Eric Laurent (auteur des mémoires d’Hassan II) et Catherine Graciet s’aventurent à traiter d’un sujet tabou au Maroc : la fortune du roi Mohamed VI. Ce jeune monarque, qui règne depuis douze ans et qui fut surnommé le « roi des pauvres », est avant tout un dirigeant soucieux de sa fortune. Alors que son père Hassan II était entièrement dévoué à la direction politique de son royaume, son fils « M6 » est quant à lui, essentiellement préoccupé par la gestion de ses affaires. Le royaume est devenu son marché captif « le roi est désormais le premier banquier, assureur, exportateur, agriculteur de son pays. Il contrôle également le secteur de la grande distribution et de l’énergie » (p. 11). Cet empire économique s’est construit autour de l’héritage du roi, en particulier des Domaines royaux, vastes ensembles de terres agricoles irriguées grâce au programme de barrages développé par Hassan II. Aujourd’hui la superficie exacte de ces Domaines royaux reste un secret bien gardé. Pour devenir le premier fournisseur de son propre peuple, « M6 » a pu compter sur le zèle de son secrétaire particulier, Mounir Majidi et de son camarade du Collège royal Fouad Ali El Himma. Ces deux courtisans appartenant au Makhzen, l’entourage immédiat du roi, sont devenus le symbole de la prédation sur le pays. Ils gèrent les intérêts de la fortune royale à travers deux entreprises qui ont récemment fusionné, l’Omnium Nord Africain (ONA) et la Société nationale d’investissement(SNI). Ces deux géants regroupent aujourd’hui les activités aussi diverses que la banque, l’immobilier, la grande distribution avec les supermarchés Marjane et Acima (p. 159).L’enquête montre comment le Roi a investi sa fortune dans tous les secteurs garantissant un profit élevé.
En plus de cet affairisme, « M6 »profite de son statut et de son pouvoir pour s’enrichir aux frais de son royaume. En plus d’un confortable salaire, il dispose de douze palais à travers le pays et tous les frais de fonctionnement de sa vie somptuaire sont bien sûr à la charge du contribuable marocain. En devenant le premier fournisseur de ses sujets, il profite également des subventions versées pour les produits de première nécessité comme le sucre, l’huile ou le lait. Les groupes étrangers qui ont tenté de pénétrer le marché marocain ont connu de nombreux déboires, le monarque refusant toute concurrence. Ainsi, Danone, Auchan ou encore Axa ont tous subi des déconvenues judiciaires ou financières pour avoir cru pouvoir faire des affaires selon les règles du marché international. La fuite des capitaux est courante car le patronat local craint la colère royale. Lorsqu’une affaire importante a lieu, le Roi, à travers ses entreprises, y participe même si cela tient du délit d’initié. L’exemple cité est l’entrée en bourse du groupe immobilier Addoha, qui se voit accorder à des tarifs très avantageux des terrains par l’État marocain. En conséquence l’action s’envole, or curieusement les entreprises ONA et SNI possèdent des participations dans Addoha et les propriétaires de ses actions se cachent derrière diverses sociétés écrans. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres illustrant que l’économie marocaine est régie par la volonté du Palais (p. 120). Alors que la disparité entre riches et pauvres s’est accentuée depuis le début de son règne, l’enrichissement du roi lui n’a fait que croître. En 2009, le magazine américain Forbes évaluait la fortune personnelle de « M6 »à 2,5 milliards de dollars (p. 9). Cet ouvrage relève d’un véritable travail d’investigation. Il n’hésite pas à démonter les rumeurs infondées et étaie toujours ses affirmations par des témoignages, anonymes le plus souvent, et des faits indiscutables.
Mohamed VI ne se contente pas seulement de régner sur son royaume mais aussi d’en tirer un maximum de profit. La France, principal partenaire du Maroc, semble détourner les yeux de cette mise en coupe de l’économie du pays par son souverain. Elle participe même à son enrichissement et répond docilement à ses caprices grâce à l’aide au développement. Dernière lubie royale : le TGV Tanger-Casablanca, dépense somptuaire, objectivement inutile, mais le roi a dit « je veux ».