Le régionalisme sud-américain, l’Union européenne et les États-Unis
Sebastian Santander Bruxelles, Éditions de lUniversité libre de Bruxelles, Institut détudes européennes, coll. « Études européennes », 2008, 280 p.
Le processus d’intégration régionale, au sens de l’émergence de « régions mondiales, constituant une dimension médiane entre l’échelon étatique et le système mondial » (p. 15), est l’une des transformations politiques et économiques de la scène internationale les plus importantes de la seconde moitié du xxe siècle. Le processus d’intégration régionale européen, de la Communauté économique européenne (CEE) à l’Union européenne (UE), initié dans les années 1950, a marqué de son empreinte le sens à donner à un tel phénomène, en poussant, à ce jour, la logique d’intégration économique et politique à son point le plus haut. Sans répondre immédiatement aux mêmes logiques que celles qui ont prévalu en Europe de l’Ouest, le régionalisme s’est rapidement étendu à d’autres espaces géographiques. Ainsi, de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN), lancée en 1967 et répondant initialement à des considérations politico-stratégiques (contrer l’expansion des mouvements communistes), au Marché commun de l’Amérique du Sud (Mercosur), en 1991, en passant par l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), en 1992, ou encore la Communauté andine, en 1996 (succédant au Pacte andin), l’Asia Pacifique Economic Cooperation (APEC) en 1989, ou encore les expériences régionales en Afrique, on a vu se démultiplier, à partir de la fin des années 1980, des initiatives qui, à des degrés divers et malgré des ambitions parfois différentes, pouvaient revendiquer le nom d’intégration régionale. Au cœur de ces processus et de leur évolution, une place particulière doit être accordée au processus de libéralisation des échanges commerciaux à l’intérieur de ces espaces, processus porté par le modèle économique et idéologique qui s’impose peu à peu à partir de la fin des années 1970 pour devenir le cadre structurant de l’après-guerre froide. À cet égard, tant d’un point de vue politique, stratégique, économique et idéologique, l’histoire du régionalisme ne peut être séparée de l’histoire de la mondialisation néolibérale post-Seconde Guerre mondiale.
C’est tout l’intérêt du travail de S. Santander que de se pencher sur le régionalisme sud-américain, et plus spécifiquement sur le Mercosur, et d’en proposer une analyse globale qui tiennent compte de l’ensemble des facteurs qui ont contribué à voir émerger un tel phénomène, en insistant notamment sur les facteurs externes qui ont déterminé et influencé une telle expérience d’intégration régionale. Mobilisant un appareil théorique qui accorde une place importante à l’économie politique internationale, le chercheur précise dans son introduction le schéma d’analyse qu’il entend développer : « Il s’agit […] de s’interroger sur la nature de la régulation produite par le régionalisme en relation avec l’économie globale. Notre méthode d’interprétation du régionalisme s’insère plutôt dans la tradition de la nouvelle économie politique internationale au sens où elle cherche à transcender les approches rationalistes, stato-centrées et de problem-solving. Si nous accordons une importance certaine au rôle de l’État dans la constitution du nouveau régionalisme, il ne s’agit pas pour autant de l’appréhender comme une entité organique et unitaire. Il faut, pour reprendre l’expression d’Andrew Hurrell, “déballer l’État” afin de déterminer dans quelle voie les acteurs socio-économiques et les idées orientent les décisions et les stratégies des autorités politiques nationales dans le domaine de l’intégration régionale. » (p. 19).
Une telle démarche théorique, appuyée sur une connaissance approfondie des réalités latino-américaines conduisent l’auteur à livrer une analyse du régionalisme sud-américain qui rompt avec les approches purement descriptives d’un tel processus. L’importance accordée aux facteurs exogènes, et leur interaction avec les logiques de développement internes, le conduit à problématiser la question du régionalisme latino-américain en le mettant en relation avec le rôle joué par deux acteurs géographiquement extérieurs à cet espace : les États-Unis et l’Union européenne. L’influence des États-Unis sur le Mercosur s’exprime à travers les visées hégémoniques états-uniennes sur l’ensemble du continent américain, tant en matière politique et stratégique que sur le plan économique et commercial avec les projets de création d’une vaste zone de libre-échange à l’échelle du continent – qu’il s’agisse du projet « Entreprise pour l’Amérique » présenté par le président George Bush en juin 1990, ou du projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) lancé en 1994 et repris depuis sans succès, en raison notamment des réticences de certains États latino-américains. S’agissant de l’impact de l’UE sur la constitution et l’évolution du Mercosur, elle se traduit, selon l’auteur, par « la stratégie d’exportation du modèle d’intégration et de gouvernance régionale » de l’acteur européen et par sa volonté de voir se développer des relations interrégionales de « bloc à bloc ». Dans ce contexte, le Mercosur, projet politique autant qu’économique, devient un enjeu de la lutte commerciale que se livrent les États-Unis et l’UE.
Ainsi, l’auteur montre comment un projet débuté dans les années 1980 à l’initiative des deux États les plus puissants de la région, l’Argentine et le Brésil (Déclaration d’Iguazu du 30 novembre 1985), et répondant à des considérations singulièrement latino-américaines (développement industriel, démocratisation, etc.), a vu ses priorités et sa dynamique partiellement modifiés à partir de la fin de la guerre froide pour se laisser façonner par les logiques du modèle idéologique dominant et pour répondre aux contraintes géopolitiques externes que constituaient les velléités hégémoniques du voisin nord-américain et la formation de blocs régionaux en Europe et en Asie notamment.