Le Procès des Khmers rouges. Trente ans d’enquête sur le génocide cambodgien
Francis Deron Paris, Gallimard, 2009
Cet ouvrage aurait pu constituer la référence française. Bénéficiant d’un large recul et du rassemblement d’une masse considérable d’archives, de la connaissance intime du sujet par son auteur impliqué de manière physique dans les événements, ce livre hésite cependant entre l’ouvrage d’histoire et le récit journalistique. La construction même est parfois surprenante. Nonobstant ces aspects, ce livre est bienvenu à plus d’un titre. Il actualise l’état des lieux sur la question, et surtout s’applique à présenter les différents aspects et problématiques liés à la mise en place du procès des anciens dirigeants khmers rouges. Le pouvoir cambodgien actuel a refusé la mise en place d’une justice « supranationale », et il a donc conclu un compromis avec l’ONU pour que les « chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens » (nom officiel du nouveau tribunal) articulent droit national et droit international, et la collaboration des juges internationaux et cambodgiens. Loin de viser à une purge massive de la société cambodgienne – sur le modèle du processus de dénazification entrepris par les alliés dans l’Allemagne de 1945 – ce tribunal ne jugera que les principaux responsables… encore vivants. Les difficultés juridiques comme politiques sont solidement exposés. En revanche, la description du fonctionnement du régime demeure relativement impressionniste, peut-être parce que l’auteur a pris le parti de ne pas chercher à renouveler un exercice selon lui déjà bien mené par David Chandler. Ce dernier, notamment dans Voices from S-2: Terror and History in Pol Pot’s Secret Prison, montre comment la paranoïa de la couche dirigeante face à la menace perçue de l’extérieur (Américains, Vietnamiens) et de l’intérieur (les « traîtres » contre-révolutionnaires cachés dans l’appareil du Parti) suscita des purges incessantes, minant le régime et finalement provoquant l’intervention de l’armée vietnamienne.
L’histoire du retour des Khmers rouges dans le maquis, après l’invasion vietnamienne de 1978, mériterait aussi d’être approfondie. C’est en effet une période nettement moins étudiée par les spécialistes, et pendant laquelle les puissances occidentales doivent cacher des actions difficilement défendables… selon leur doxa des droits de l’homme qui tendant à s’imposer à la fin des années 1970. Le livre soulève judicieusement leur responsabilité dans le soutien au gouvernement « légitime » des Khmers rouges durant cette période, mais sans faire de révélations.