See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Le Pouvoir et la foi questions d’islam en Europe et au Moyen-Orient
Bernard Lewis Paris, Odile Jacob, 2011, 267 p
Cet ouvrage est présenté sur le quatrième de couverture comme « le dernier état d’années de réflexions et d’études » ; surprenant pour un auteur dont l’essentiel de l’œuvre scientifique a été produite entre les années 1950 et 1980. Il s’agit en fait d’une compilation hétéroclite – est-ce uniquement le choix de la maison d’édition ? – d’articles et de conférences s’étalant sur plus de vingt ans, dont la logique d’organisation nous échappe : on parle finalement peu d’islam en Europe, et aucune structure n’organise le livre – deux chapitres portent d’ailleurs le même titre –. Surtout, les mêmes explications, les mêmes exemples se répètent au fil des chapitres.
Évidemment, la parole de l’auguste spécialiste présente de l’intérêt, mais la forme prise dans certains chapitres – articles de vulgarisation ou conférences intervenant dans un contexte politique ou local précis – l’oblige à faire des raccourcis, des compromis ou des concessions avec la vérité. Le trait est forcé, parfois caricatural. Le monde musulman n’aurait pas connu de schisme ou de guerre religieuse de l’ampleur de ce qu’a connu le monde chrétien (p. 79) – ne pourrait-on pas nuancer ? –, et pas d’autocrate tyrannique jusqu’à l’empire ottoman. La doctrine sunnite prévoyait une limitation des pouvoirs du calife par le bay’a, sorte de relation contractuelle entre le souverain et ses sujets. Si l’auteur reconnaît dans le texte d’une conférence de 1993 que cette doctrine n’a jamais été appliquée, il devient plus optimiste sur son usage lors d’une conférence de 2007. Pour mettre en valeur les progrès réalisés par l’islam au cours des siècles, le conférencier prend quelques libertés avec l’histoire de l’occident. Par ailleurs, les formules à l’emporte-pièce laissent dubitatif : « les islamistes radicaux attirent à gauche les mouvements européens antiaméricains, aux yeux desquels ils ont remplacé les Soviétiques. À droite, ils séduisent les mouvements antisémites européens, prenant ainsi la place laissée libre par les nazis. C’est ainsi qu’ils sont parvenus à obtenir un soutien assez fort de part et d’autre, la haine prenant apparemment le pas sur la loyauté » (p. 234), ou encore sur la poussée migratoire en Europe qui devrait aboutir « dans un avenir relativement proche à des populations majoritairement musulmanes dans certaines villes européennes et même dans certains pays » (p. 240) – pourtant, l’indice de fécondité des populations immigrées ou d’origine immigrée rejoint celui des populations autochtones dès la seconde génération –.
Il demeure des développements intéressants sur la relation historique entre l’occident et le monde musulman, l’évolution comparée entre les évolutions des formes politiques de ces civilisations et la question de la légitimité du pouvoir et des limites qui lui sont imposées. Mais Bernard Lewis ayant déjà publié des ouvrages solides sur ce thème, nous ne pouvons qu’inviter le lecteur à se tourner vers ces « classiques » : The Arabs in History (1re édition 1950), et The Middle East in History: 2000 Years from the Rise of Christianity to the Present Days (1996).