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Le Nouveau Monde arabe. Enjeux et instabilités
Denis Bauchard Éditions André Versaille, Bruxelles, 2012, 272 p.
Ancien diplomate et spécialiste du monde arabe, Denis Bauchard nous offre une analyse originale et novatrice des mutations géopolitiques et idéologiques que traversent les États et les sociétés arabes. L’auteur décrypte aussi bien les dynamiques internes que les facteurs exogènes, avec une attention particulière accordée à la politique arabe de la France, qui seront déterminant pour l’avenir du « Nouveau Monde arabe ». Après avoir présenté les éléments d’unité (langue, culture et identité) et de diversité (géographique, ethnique, religieuse, socio-économique et politique) qui sont propres au monde arabe, Denis Bauchard propose une grille de lecture des révolutions arabes. Il relève quatre éléments pouvant expliquer leur déclenchement (p. 29-32) : « la réaction de rejet d’un chef d’État et d’une famille » ; une jeunesse « frustrée » par l’absence de liberté et de perspectives professionnelles ; un chômage structurel et, enfin, des nouvelles technologies de l’information qui ont agi comme amplificateur des révoltes. Ces éléments explicatifs communs n’oblitèrent pas la disparité des situations qui émergent à la suite du processus inachevé des révoltes populaires arabes.
L’auteur propose ainsi de catégoriser ces révoltes en trois groupes : les pays en voie de démocratisation (Tunisie, Égypte, Libye, Yémen), ceux dits en voie de réforme contrôlée – changements effectués dans le cadre des structures politiques existantes – (Koweït, sultanat d’Oman, Jordanie, Maroc, Algérie), enfin les situations où la violence persiste (Syrie). Il constate que l’ordre règne en Arabie Saoudite où l’appel à un « jour de colère », le 11 mars 2011, a réuni plus de policiers que de manifestants (p. 42). Cet ordre a également été rétabli au Bahreïn grâce à l’intervention militaire saoudienne. L’auteur souligne que des pays en crise comme l’Irak, la Somalie et le Soudan n’ont pas connu de véritable « Printemps arabe ».
L’avenir des révoltes arabes est incertain en raison, d’une part, d’un rapport de forces qui reste indécis entre trois principaux acteurs (les forces libérales, les mouvements islamistes et les forces armées) et d’autre part la nature des défis à surmonter, qu’il s’agisse de l’instauration d’un système démocratique, des questions du développement économique ou du terrorisme. Enfin, la persistance de foyers de crises représente une menace importante pour la stabilité régionale, en particulier la situation désastreuse en Irak, l’impasse palestinienne et la crise libanaise. Par ailleurs, les derniers chapitres sont consacrés aux relations complexes entre l’Occident et le monde arabe ainsi qu’à l’analyse du jeu d’influences des acteurs externes à la zone (les États-Unis, la France, l’Europe, la Chine et les BRIC).
Cet ouvrage est indispensable à tous ceux qui souhaitent décrypter les bouleversements en cours au sein du « Nouveau Monde arabe ». Il intéressera aussi bien les décideurs, les étudiants que les lecteurs qui souhaitent aller au-delà de l’approche médiatique d’une région en mutation. Par ailleurs, cette réflexion s’appuie sur des sources de première main (expérience de l’auteur en tant que diplomate, utilisation d’un appareil statistique récent et complet, entretien avec les acteurs régionaux notamment). Outre la clarté du propos, il faut saluer la prudence de l’analyse qui privilégie la mise en exergue de scénarios d’évolution (démocratie, retour au statu quo ante, ordre islamiste) plutôt que l’élaboration d’une théorie simplificatrice projetée sur des situations contrastées. Cette première synthèse d’une région en proie à des bouleversements constants apparaît donc d’ores et déjà comme une référence pour comprendre la nouvelle ère initiée par le « Printemps arabe ».