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Le monde selon Obama
Zaki Laidi Stock, Paris, 2010, 288 p.
Deux sentiments ont accompagné, en Europe, la victoire d’Obama. Le premier fut une soudaine poussée d’Obamania : tout allait changer, dans la gestion américaine des affaires du monde, après le double mandat de George W. Bush et des néoconservateurs honnis. Le second, exactement symétrique, fut un appel à la prudence : il ne fallait pas trop attendre de Barack Obama, un président peu familier des questions diplomatiques, guère enclin à se rapprocher de l’Europe et prisonnier d’un système de décision américain qui rend impossible un revirement radical.
Zaki Laidi évite ces deux postures excessives et nous invite à une appréciation apaisée de l’action diplomatique d’Obama à mi-mandat. Il le décrit comme un « réaliste à sang froid » peu enclin à poursuivre le messianisme démocratique de ses prédécesseurs immédiats. Conscient de l’antipathie croissante que son pays suscite à travers le monde, il a affirmé dans des discours importants, au Caire, à Moscou et à Shanghai, qu’il ne revenait pas aux États-Unis d’imposer à la planète entière son modèle politique. Au prosélytisme démocratique, il préfère des enjeux de sécurité plus classique : le désarmement nucléaire, la non-prolifération.
Le réalisme d’Obama l’a conduit à désidéologiser la « guerre contre la terreur » et à lui substituer un combat plus pragmatique contre un adversaire clairement désigné : Al-Qaïda. Il s’est employé à montrer que le combat contre ce groupe terroriste n’en recouvrait pas un autre, plus large, dirigé contre l’Islam. Il a hérité de l’administration de deux conflits interminables en Irak et en Afghanistan, « deux guerres qui, par leur nature asymétrique, ne pouvaient et ne peuvent ni être totalement gagnées ni totalement perdues ». Sur ces deux théâtres, auxquels Zaki Laidi consacre deux longs chapitres très fouillés, il faut « partir sans s’enfuir », trouver un plan de sortie.
En réaliste qu’il est, Obama n’entend pas renoncer au leadership de la puissance américaine. Mais l’exercice de cette puissance n’est plus le même depuis la fin de la Guerre froide. Zaki Laidi dessine les contours d’une multipolarité complexe organisée autour de sept pôles de puissance : la « Triade » et les quatre BRIC. Tout porte à penser que, avant vingt ans au moins, les États-Unis resteront la première puissance mondiale. Cela ne signifie pas pour autant que le monde soit unipolaire : les États-Unis ne souhaitent ni ne peuvent intervenir partout. Que l’émergence de la Chine conduise demain à un duopole sino-américain ne signifie pas non plus qu’on renouera avec les heures glorieuses de la bipolarité américano-soviétique : cela signifiera simplement qu’aucun enjeu global ne se règlera sans l’intervention de ces deux acteurs principaux – sans malheureusement garantir que leur intervention conjointe garantisse son règlement.
Cette multipolarité complexe explique le minilatéralisme prôné par l’Amérique d’Obama. Les puissances étant inégales, les problèmes nombreux, les intérêts disparates, l’hyperpuissance américaine adopte une approche sélective. En Afghanistan ou dans le conflit israélo-palestinien, les États-Unis ont opté pour l’unilatéralisme. Dans la crise coréenne, ils sont obligés d’associer la Chine. Sur les autres dossiers (Iran, désarmement nucléaire, régulation financière), les partenariats sont plus larges mais repose toujours sur une forte sélectivité des partenaires. « Autant de multilatéralisme que possible, autant d’unilatéralisme que nécessaire » : la formule n’est pas neuve et avait été forgé par Madeleine Albright.
Et l’Europe ? Elle n’est pas un problème pour Barack Obama qui a plus d’égard avec elle que n’en avait George W. Bush. Mais, tant qu’elle ne proposera pas de solutions, elle ne l’intéressera guère.