See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Le Maroc de Mohammed VI, la transition inachevée
Pierre Vermeren Paris, La Découverte, 2011, 331 p.
Cet ouvrage, initialement publié en 2009, est opportunément réédité avec une postface et une actualisation utile. Il présente les multiples aspects d’un pays en développement, en mariant habilement les narrations et organigrammes du pouvoir avec des synthèses sociologiques pertinentes et percutantes. Le défaut majeur demeure la dépendance quasi exclusive aux sources journalistiques, ce qui, dans un pays dans lequel la presse est fortement contrôlée et où le régime cultive le secret, pourrait affaiblir le propos. Ainsi, les travaux académiques existants ne sont pas cités. Cela étant dit, l’ouvrage est bien écrit, bien construit, et fort utile.
Le Maroc de Mohammed VI est d’abord la chronique d’un régime qui tente de survivre dans un monde de moins en moins tolérant envers les pouvoirs autoritaires et patrimoniaux. Héritant d’une situation compliquée, voire explosive, le nouveau souverain a mené une politique habile de gestion fine et prudente des dossiers et des hommes. Il s’agissait d’alléger l’appareil sécuritaire, tout en faisant face à la vague islamiste. Le roi a en partie gagné son pari : Sa Majesté n’a pas (encore) connu le sort de Ben Ali, et les islamistes ont échoué dans leur conquête du pouvoir. Au-delà de ce constat, le souverain a indéniablement favorisé les libertés, notamment l’émancipation de la femme (code de la famille de 2004), et accéléré l’ouverture du pays aux investissements étrangers. Il a su mettre en œuvre de grands projets d’infrastructures et pallier les carences de la croissance économique par des mesures de soutien aux populations défavorisées.
Mais l’histoire immédiate du pays est toutefois faite d’ombres et de lumières, et, finalement, plutôt d’ombres. La croissance n’offre pas suffisamment d’emplois à une jeunesse nombreuse et frustrée. Le contraire serait étonnant, dans un système économique dominé par la collusion des intérêts de quelques capitaines d’industrie, gêné par une réglementation inadaptée, voire par la corruption. Le système scolaire est largement déficient, malgré les budgets importants consentis à ce secteur. La politique sociale relève soit de l’affichage, soit de la charité royale. Comme pour les autres pays du Maghreb, la compétitivité du Maroc sur les filières choisies par le régime (textile, production mécanique à faible valeur ajoutée) est battue en brèche par d’autres pays émergents.
Et pourtant, le régime tient : le mouvement du 20 février semble marquer le pas. Il faut dire que le Makhzen (système de domination des grandes familles et du Palais) est un remarquable instrument à intégrer les ambitieux et à exclure les trublions. L’auteur nous décrit les cercles du pouvoir, la circulation des élites et leur (re)production : des élèves des grandes écoles françaises, pour la plupart, traduisant en cela l’influence restée forte de l’ancienne puissance coloniale. Mais, dans cette relation si particulière, on se demande lequel influence l’autre : aux réseaux d’amis du Maroc qui traversent les clivages politiques français – et que le pouvoir marocain sait magistralement entretenir –, répondent d’autres lobbies marocains en métropole. Le Maroc, « vitrine occidentale » du monde arabe, nous dit l’auteur, rassure, et montre que l’Orient n’est pas forcément tombé aux mains des intégristes.
Peut-être, mais jusqu’à quand ? L’ouvrage souligne la vacuité de la vie politique : partis politiques peu représentatifs, politiciens mercenaires et médiocres, ministres souvent sans pouvoir. La justice est faible et corrompue, les dignitaires de l’islam, « mal formés, frileux et soumis à une hiérarchie autoritaire » (p. 197), la presse est sous surveillance. La réticence des bénéficiaires du Makhzen à accepter des réformes sérieuses affaiblit les capacités du régime à désamorcer la conjonction de deux forces : colère populaire et poussée de l’islam radical, dans un pays où 66 % des personnes sondées répondent que l’islam est « la solution à tout » (p. 233). Il semble qu’il faudra plus que la révision de la Constitution pour engager le pays sur la voie de la démocratie.