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Le Maroc : changements et faux-semblants
Karine Bennafla (dir.) Confluences Méditerranée, n°78, été 2011, Paris, LHarmattan
Ce dossier, dirigé par Karine Bennafla – géographe à l’IEP de Lyon et au laboratoire GREMMO-Maison de l’Orient et de la Méditerranée – de la revue Confluences Méditerranée se focalise sur le Maroc, et dans le contexte des bouleversements qui secouent le monde arabe, fait le tour des enjeux actuels du pays.
Si, au cours de la dernière décennie, des progrès indéniables ont été observés au Maroc et nombre de chantiers politiques et sociaux ouverts, le Royaume n’en souffre pas moins de problèmes persistants. Ces derniers – analphabétisme, corruption, conflits d’intérêt, confusion des pouvoirs… – ont alimenté et alimentent aujourd’hui encore les protestations d’une frange de la société. Comme leurs voisins, les Marocains réclament justice sociale, emplois, logements décents, éducation et santé pour tous.
Les enjeux politiques sont abordés principalement dans trois articles. Jean-Noël Ferrié et Baudoin Dupret s’interrogent sur la Constitution adoptée le 1er juillet 2011. Comment en analyser les changements, entre discours élogieux et critiques acerbes évoquant une énième manipulation du pouvoir royal ? Houès Senniguer, quant à lui, met en avant la dynamique de sécularisation en œuvre, à laquelle participent le roi et certains partis islamistes, tels que le PJD (Parti de la justice et du développement). « Sécularisation » étant entendue non pas comme « le reflux du religieux de la société, pas plus que l’abolition de l’usage public des symboles de la religion au niveau de l’État ou des sociétés politique et civile mais [comme] de nouvelles façon de se référer à la religion » (p. 50). Fadma Aït Mous revient sur le long processus de construction de la revendication amazighe (berbère), sur son institutionnalisation et surtout sur sa constitutionnalisation récente. « Finalement », écrit-elle, « le texte constitutionnel adopté après le référendum du 1er juillet 2011 a effectivement officialisé l’amazighe mais en vidant cette officialisation de toute substance » (p. 128).
La question sociale occupe également une grande partie du dossier. José M. Gonzales Rierra se penche ainsi sur le long travail des militants des droits de l’homme et sur leurs relations avec le Mouvement du 20 février. L’article met notamment en lumière la difficile articulation entre les acteurs qui coopèrent avec l’État et ceux qui refusent les compromis. Montserrat Emperador Badimon étudie le cas emblématique des diplômés chômeurs, « fédérateur[s] de l’indignation au Maghreb » (p. 79), mais qui, au Maroc, évitent en grande partie de politiser leurs revendications et se contentent d’une réponse « technico-humanitaire » de la part de l’État. Myriam Catusse nous livre une réflexion sur les réformes sociales initiées par celui que l’on a appelé « le roi des pauvres ». La société marocaine, rappelle-t-elle, vit dans « un degré de contestation latent ou manifeste […] depuis dix ans » (p. 73). Enfin, dans un autre registre, un article de Marie Bonte se penche sur la consommation d’alcool en milieu urbain.
Les questions de territoire et de ressources naturelles sont elles aussi abordées, avec un article de Najib Akesbi sur les écueils de la stratégie agricole et, plus particulièrement, du Plan Maroc vert, engagé depuis 2008. Youssef El Mamdouhi étudie ensuite les reconfigurations rapides et multiples de l’espace rural marocain. Victoria Veguilla s’intéresse pour sa part au Sahara occidental sous le prisme de la gestion des ressources halieutiques.
Enfin, sur le Maroc à l’international, un article de Ward Vloeberghs examine les « liens économiques et politico-militaires » (p. 157) qu’entretient le pays avec certains de ses partenaires commerciaux internationaux, et en particulier avec les puissances émergentes.
La lecture de ce dossier, qui met en lumière les changements et les rémanences au Maroc, nous rappelle à quel point ce pays mérite une analyse critique et nuancée. Les diverses contributions permettent au lecteur d’échapper à une certaine vision du Royaume – cultivée notamment par des médias et acteurs politiques occidentaux –, vision trop souvent schématique, simpliste, voire complaisante.