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Le Kurdistan et ses chrétiens
Mirella Galletti Paris, Cerf, 2010, 399 p.
Après la récente visite du pape Benoît XVI à Chypre, qui a dénoncé la situation difficile des chrétiens au Proche-Orient, présentant ainsi « l’Instrumentum laboris », un document de l’Assemblée spéciale pour le Moyen-Orient du Synode des Évêques, ce livre de Mirella Galletti devient particulièrement utile pour comprendre la situation actuelle.
Professeur d’histoire du monde arabe et musulman à l’université de Naples « l’Orientale », après avoir enseigné l’histoire et la culture kurde, le droit des communautés islamiques et l’histoire des peuples transnationaux de l’Asie occidentale, l’auteur a divisé son livre en deux parties, l’une historique, précise et détaillée, l’autre composée de témoignages directs, utiles pour se rendre compte des enjeux religieux et politiques d’aujourd’hui.
Dans la première partie en effet, le lecteur peut reparcourir toute l’histoire des peuples de la région du Kurdistan, politiquement divisée entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran, dans sa variété et sa richesse de langues, traditions et différences religieuses et culturelles. Le livre se concentre ensuite notamment sur la chrétienté, partagée en plusieurs « courants » avec des rites différents, grâce à une analyse qui va de l’Empire romain à nos jours.
Si jusqu’au xixe siècle les relations inter-ethniques étaient relativement pacifiques, c’est à la fin du xixe que les choses vont changer.
« Les relations entre les groupes éthiques et religieux entrèrent dans une crise profonde à la fin du xixe siècle, lorsque le développement du nationalisme porta atteinte au modèle en mosaïque, stimula la conscience ethnico-religieuse et exacerba les différences. L’impact avec l’Occident fournit aux minorités des instruments intellectuels pour une réaffirmation de soi ; il contribua à modifier les rapports existants en développant le pluralisme idéologique et culturel dans ses sociétés. On vit se multiplier les projets nationalistes, qui ne pouvaient se réaliser sans créer des situations conflictuelles » (p. 46).
Depuis les premières décennies du xxe siècle, on assiste à un mouvement d’émigration, une véritable diaspora de la part des chrétiens. Il est notamment provoqué par l’instabilité du Proche et du Moyen-Orient, qui s’est accentuée, surtout depuis les années 1970, à cause des conflits nombreux et graves comme la guerre civile au Liban, la guerre Irak-Iran (1980-1988), la Première Guerre du Golfe (1990-1991), la Seconde Guerre du Golfe (2003) et l’occupation américaine de l’Irak, mais aussi à cause du fondamentalisme islamique et des difficultés financières. Une grande partie des émigrés assyro-chaldéens réside maintenant aux États-Unis, qui compte une communauté d’environ 350 000 membres, suivie du Canada et de l’Australie.
La deuxième partie du livre se compose de témoignages, d’interviews de « chrétiens autochtones », qui nous racontent leurs expériences quotidiennes sur le terrain. Cette section représente la valeur ajoutée du livre, car, sans verser dans un discours trop technique, l’auteur nous montre les problèmes réels des habitants de la région grâce à une démarche dialogique.
« Nous constatons que l’appartenance à telle ou telle confession chrétienne est secondaire par rapport à l’identité ethnique » (p. 221) affirme Youhannan Semaan Issayi, évêque des chaldéens à Téhéran. « Pendant des siècles les chrétiens ont constitué un élément d’équilibre dans la région. Le pluralisme et l’hétérogénéité diminuent les tensions ; ils empêchent la formation d’un bloc musulman compact opposé à l’Occident et à Israël » (p. 235) rappelle le père Joseph Hanni, chaldéen président du Collège de Babel, faculté de philosophie et théologie en Irak. « Les leaders religieux sont des promoteurs de paix, ils doivent donc soutenir les éléments pacifiques de la société et promouvoir des valeurs de dialogue à travers leurs homélies et leurs interventions dans les médias » (p. 247) souhaite Mgr Luis Sako, archevêque de Kirkuk.
En attendant le Synode du Vatican sur le Moyen-Orient, prévu en octobre 2010, ce livre peut constituer une bonne base pour la compréhension des enjeux chrétiens dans une région gouvernée par les musulmans.