Le génie de l’Amérique
Eric Lane et Michael Oreskes Traduit de langlais par Michel Bessières, Paris, Odile Jacob, 2008, 304 p
Les États-Unis restent, n’en déplaisent à leurs ennemis et à leurs détracteurs, au centre de toutes les attentions. Historique à bien des égards, la campagne présidentielle américaine, qui a pris fin le 4 novembre 2008, avec l’élection de Barack Obama, a ainsi été suivie de près dans le monde entier. Et le résultat a provoqué une véritable euphorie, rappelant que si seuls les Américains votaient, les conséquences de l’élection présidentielle américaine sont internationales. Dès lors, il n’est pas surprenant de voir, à l’occasion de chaque élection outre-Atlantique, se multiplier les publications sur ce pays que tous croient connaître parfaitement, mais qui conserve ses mystères, comme en témoignent les nombreuses interrogations sur la société américaine et les valeurs qui y sont entretenues.
Parmi les différentes réflexions sur les États-Unis, l’ouvrage d’Eric Lane et Michael Oreskes sort incontestablement du lot. Publié l’an dernier en langue anglaise, traduit en français peu avant l’élection de novembre 2008, au lieu de s’attarder sur les questions actuelles telles que la crise économique, le thème du changement ou les difficultés rencontrées par les États-Unis sur la scène internationale, l’ouvrage met en perspective l’évolution des mentalités dans un pays que les auteurs estiment en perpétuelle réflexion sur le fonctionnement de ses institutions.
Les deux auteurs, qui associent leurs talents d’universitaire et de journaliste politique de haut niveau, proposent un regard sur la Constitution américaine, en mettant l’accent sur plusieurs moments au cours desquels, en deux siècles, elle fut exposée à des critiques, réajustements et interprétations divers. Le « génie de l’Amérique », c’est pour les auteurs ce texte court, rédigé il y a plus de deux siècles par les pères fondateurs, qui apporta des réponses aux plus grandes crises politiques que traversèrent les États-Unis. Parmi les différents exemples développés, en dehors des premières années de la démocratie américaine – qui cherchait encore à définir la répartition des pouvoirs et vit un nombre important d’amendements venir compléter le texte initial –, la démission de Richard Nixon suite au scandale de Watergate en 1974 et la prise de fonction de Ronald Reagan en 1981, avec la dénonciation du big government, permettent de comprendre comment, en interprétant la Constitution, les Américains sont parvenus à modifier leur politique, sans pour autant remettre en cause les fondements de leur nation. Des rappels historiques qui ne sont pas anodins, à un moment où les États-Unis s’interrogent une nouvelle fois sur leur avenir et sur leur capacité à rebondir après une période difficile. Pour les auteurs, la Constitution sauvera encore la démocratie américaine, en étant abordée de façon pragmatique par des dirigeants conscients de son importance. Un constat plutôt optimiste donc sur la capacité de Washington à se sortir des crises politiques les plus profondes, mais un appel à la vigilance également, notamment à l’heure où les débats entre Washington et antifédéraux sont ravivés.
Certes, on pourra reprocher aux deux auteurs de ne pas s’attarder suffisamment sur les questions actuelles, et de se cantonner à analyser des exemples historiques. Il aurait ainsi été bienvenu d’analyser les défis qui attendaient la nouvelle Administration, et seule la conclusion pose des questions fort pertinentes sur le regard que portent les Américains sur leur démocratie. Ces questions auraient facilement pu être développées, et inscrire ainsi la réflexion de E. Lane et M. Reskes dans une posture plus dynamique.
La lecture de cet ouvrage reste en tout cas fortement recommandée à ceux qui douteraient encore que l’Amérique est capable de s’adapter aux changements de son temps, sans pour autant remettre en question les fondements de sa démocratie. Car, la Constitution américaine, loin de perdre sa pertinence et d’être inadaptée aux nouvelles réalités, se trouve, en ces temps de crise économique et de changements aux conséquences incertaines, confirmée dans son rôle d’arbitre de la démocratie américaine. Les deux auteurs rappellent ainsi, en conclusion, que les Américains sont « héritiers de la plus longue tradition démocratique de l’histoire ». Un héritage à entretenir, mais qui doit inviter à une remise en question permanente plus qu’à se reposer sur des acquis.
Car, il ne faut pas s’y tromper : l’histoire de la Constitution américaine n’a pas été un long fleuve tranquille. Souvent critiquée, disputée, et parfois vilipendée par ceux qui se plaignaient de ses limites (notons au passage qu’il s’agit d’un texte particulièrement court, en comparaison avec les Constitutions des autres grandes démocraties), elle s’enrichit de vingt-six amendements, dont le dix-huitième, prohibant la fabrication, la vente et le transport de boissons alcoolisées, qui fut abrogé quelques années plus tard, par le vingt-et-unième amendement. La Constitution sut donc s’adapter, et parfois se corriger, en fonction des choix politiques de l’Exécutif, avec l’accord du Congrès. Quand on mesure les défis qui attendent la nouvelle Administration américaine, de telles considérations sont indispensables, et permettront de faire face aux multiples obstacles, tant à l’intérieur que sur la scène internationale.