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Le Diplomate et l’intrus l’entrée des sociétés dans l’arène internationale
Bertrand Badie Paris, Fayard, 2008, 283 p.
Cet ouvrage apparaît curieusement comme l’aboutissement de l’œuvre de B. Badie sur ces 15-20 dernières années, reprenant les mêmes thèses sans amorcer de percée conceptuelle révolutionnaire : l’État n’en finit plus de s’affaiblir, la souveraineté se délite, les grandes puissances sont impuissantes. Au même moment, les acteurs non étatiques poursuivent leur essor au sein du système international, et il est temps désormais que les sociétés civiles puissent contourner l’État et imposer leurs choix.
L’âge de la Realpolitik, celui des États considérés comme des entités monolithiques sans débat interne, serait mort. On objectera que celui-ci n’a jamais existé, et qu’il serait bon que la science politique étudie plus longuement l’histoire des États de l’âge classique : on y découvre une vie politique et une opinion publique plus prégnantes que ce qui est décrit dans cet ouvrage.
Selon cette conception des relations internationales, toute hégémonie de grande puissance serait condamnée à disparaître. Les questions de sécurité se sont complexifiées, et le soft power ne contribue guère à compenser la vulnérabilité des États dans les conflits asymétriques. Les États-Unis, hégémoniques, n’ont pas su polariser autour d’eux, c'est-à-dire attirer des États convaincus du bienfait d’une alliance. D’ailleurs, les alliances sont un phénomène trop instable pour que l’on puisse s’y fier. Les grandes puissances doivent assister à la prolifération des États-voyous, et à l’essor d’une diplomatie contestataire qui remet en cause les normes, les valeurs et la structure de pouvoir qui caractérisent le système de l’après-guerre froide. Mais, face au déclin de ce système de grandes puissances, il n’est guère de réorganisation qui convainc. Ainsi, l’intégration régionale, si elle permet un essor des liens transnationaux, est souvent le théâtre d’une politique hégémonique menée par les puissances moyennes. Le multilatéralisme est généralement détourné au profit des plus forts ; sinon, il devient un mécanisme ne servant qu’à « produire des formes multiples et souvent très complexes de compensation symbolique » (p. 141), enfermé qu’il est dans la diplomatie déclaratoire. La diplomatie contestataire n’aboutira pas à définir un nouveau système international : elle n’est qu’une forme pathologique, tentant de renverser un ordre établi, mais sans grande chance d’y parvenir et elle ne propose aucune solution alternative viable.
Dès lors, il ne reste qu’à faire confiance à la société civile mondiale. Celle-ci procèderait de l’assemblage, de la convergence des différentes sociétés civiles nationales, de ces acteurs non étatiques qui aident à dessiner une opinion publique mondiale. Cette société peut émerger selon deux voies. La première consisterait à multiplier la fondation de régimes politiques démocratiques proches de ceux de l’Occident, à l’instar de la doctrine du regime change prônée par les États-Unis. C’est une tentative vouée à l’échec, on ne change pas une société par une décision venant d’en haut – et qui plus est de l’étranger. Seconde solution : la convergence naturelle d’une société qui procéderait à son intégration par rapprochement spontané, suscité par la multiplication des échanges et une sorte d’osmose culturelle que la mondialisation produirait. Il s’agit là du passage le plus novateur proposé par l’auteur, sinon le plus intéressant de l’ouvrage. L’intégration sociale requiert une identité commune, la réalisation d’objectifs communs et la construction d’une interdépendance active. Dans ces trois domaines, B. Badie doit constater, bien tristement, que l’on est loin du compte. Et c’est surtout l’interdépendance très incomplète qui nuit au système, car l’échec des États en développement les plus fragiles n’est pas compensé par une véritable solidarité internationale. Dès lors, la violence explose dans ces États « faillis », en effondrement, et ce n’est qu’à ce stade que la communauté internationale réagit, s’engageant dans des opérations de maintien de la paix compliquées.
Dans ce livre, on retrouve un Badie encore visionnaire et désireux d’espérer, mais lucide et parfois amer. Si la société-monde peut l’emporter sur les « monstres froids », cette victoire risque de ne s’apprécier, comme pour la démocratie, qu’« en tendance » (R. Aron).