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Le Dictionnaire de l’Inde
C. Clémentin-Ojha, C. Jaffrelot, D. Matringe et J. Pouchedass (sous la dir.) Paris, Larousse, 2009, 479 p.
Alors que l’affirmation de la puissance indienne suscite de nombreuses publications (cf. la note de Yannick Prost sur New Delhi et le monde, sous la direction de Christophe Jaffrelot, dans La Revue internationale et stratégique n° 73, printemps 2009), il restait à présenter la société indienne, ainsi que les différents héritages qui continuent de structurer les orientations actuelles du pays. C’est ce manque que s’attache à combler le présent ouvrage qui, à partir de contributions (étayées de plusieurs cartes et tableaux statistiques) d’une quarantaine d’auteurs emmenés par une équipe de directeurs renommés, vise à mieux cerner et faire comprendre l’Inde contemporaine, ou plutôt les Indes. Le maître-mot de ce dictionnaire, et du pays qui fait son objet, est en effet la diversité, source de richesse mais aussi de tensions.
L’hétérogénéité des chercheurs est à l’image de la complexité du sujet, où se côtoient une myriade d’influences différentes dans un entrelacement très dense. Le dictionnaire s’intéresse avant tout à la dimension socioculturelle de l’Inde, abordée le plus souvent dans une perspective historique, pour proposer au final un vaste panorama des racines spirituelles au nombre d’abonnements Internet (11 millions en 2008). Les articles d’une longueur inégale (allant de quelques lignes à plusieurs pages organisées en sous-parties) s’efforcent de couvrir les différents éléments qui constituent la réalité socioculturelle de l’Inde, certains liés à ses héritages culturels, d’autres à son système politique, à son organisation sociale, outre le legs de son passé colonial. Le dictionnaire donne à voir la nature de la société indienne, de sa civilisation, la vie de la population indienne, bientôt la plus nombreuse au monde selon les projections démographiques.
Si la perspective historique enrichit la compréhension des différentes thématiques en donnant à voir leur agencement interne et leur entrelacement à plusieurs niveaux, l’on peut regretter parfois une perte de précision lorsque est évoquée la situation actuelle (pour les syndicats par exemple), ainsi que l’exclusion délibérée des considérations d’ordre géopolitique (l’article sur le Cachemire en est un exemple frappant). L’organisation de l’ouvrage permet toutefois de pallier cette faiblesse : deux rubriques précèdent le « dictionnaire » à proprement parler, « L’Inde en questions » et « Temps forts », qui résument respectivement les grands enjeux de la politique indienne aujourd’hui (des questions démographiques à la potentielle puissance indienne en passant par la croissance économique et l’organisation interne de la société) et les principales périodes de son histoire plurimillénaire. Vaste programme, relevé avec brio par des experts reconnus sur chaque domaine : cet ouvrage très informatif possède la vertu additionnelle de rappeler l’importance des questions intérieures, de souligner l’ampleur des dossiers appelant des réformes pressantes.
La diversité semble ainsi consubstantielle à l’Inde, mais cette nature hétérogène agit à double tranchant, capable d’enrichir la société et de renforcer sa capacité d’adaptation, voire d’assimilation, de pratiques nouvelles (flexibilité indispensable à l’heure de la mondialisation), mais source également de divisions, de tensions, d’inégalités importantes (le sort des Dalit ou « intouchables », la situation de nombreuses femmes en Inde en sont deux exemples mais non les seuls).
En dernière analyse, ce dictionnaire aussi intéressant que pratique, tant pour le chercheur (en complétant la dimension géopolitique de la réflexion) que pour le public général, parvient en quelques pages à présenter avec clarté mais sans les dénaturer les enjeux et héritages qui façonnent la manière dont l’Inde, et les Indiens, aborde aujourd’hui les grandes questions internationales et les principaux défis intérieurs. C’est de sa capacité à relever ces défis, et à faire de sa diversité un atout et non une entrave (ce qui suppose de traiter les tensions lorsqu’elles existent), que dépend l’ascension internationale de l’Inde sur le long terme. L’amélioration du niveau de vie d’un milliard d’habitants lui assurerait indubitablement, à cet égard, un prestige, un rayonnement international, et partant un soft power, incommensurables avec celui qu’un slogan si bon soit-il pourrait procurer.