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Le 20e kamikaze n’a jamais existé
Lotfi Raïssi Paris, Jacob-Duvernet, 2011, 300 p.
Plus qu’un témoignage, le tragique épisode vécu et raconté par Lotfi Raïssi, pilote-instructeur algérien et musulman, accusé à tort d’avoir orchestré les attentats du 11 septembre, constitue un réquisitoire sans merci contre les dérives des puissances occidentales et de leurs médias. Contre les premières, avides de trouver un coupable qui leur permettra d’étouffer le scandale de leur incompétence à prévenir ces dramatiques événements. Contre les seconds, qui se sont laissés manipuler par les services secrets américains et britanniques, recrachant telles quelles les informations fournies sans procéder à la moindre investigation. Gouvernements et médias, tous deux mus par l’irrépressible besoin de donner à l’opinion mondiale, choquée par l’inconcevable et indignée contre ses services de renseignement que l’on disait infaillibles, un bouc-émissaire sur lequel pourraient se déchaîner les passions mais surtout qui permettrait de faire digérer l’humiliation des uns et d’assouvir le désir de vengeance des autres. Comment concevoir que « ces nations autoproclamées parangon de vertu démocratique » (p. 193) disposent de médias, pourtant érigés en contre-pouvoir, qui salissent la vie d’un homme sur la base de « pseudo informations » (p. 39) divulguées par les organes de sécurité des États ? Et il s’agit ici de rien moins que cela, sinon plus. Cet homme, s’il a gagné en force et en analyse critique sur les problématiques internationales, a tout perdu dans cette épreuve de force qui l’opposait à Scotland Yard et au FBI : dix ans de sa vie, sa dignité, son avenir dans l’aviation, ses biens mais également sa femme qui, détruite par les pressions psychologiques générées par les procédures judiciaires et les médias, s’est effondrée une fois son mari sauvé.
Ce que Lotfi Raïssi a vécu, pour tout citoyen lambda, « n’arrive […] qu’aux autres » (p. 199)… C’est aussi ce qu’il croyait jusqu’à ce qu’en pleine nuit du 21 septembre 2001, le MI5 vienne le kidnapper chez lui ; jusqu’à ce qu’un véritable enfer commence, avec complot et machination à la clé, preuves mensongères, photos truquées, allégations sans fondement, détention arbitraire, insultes, brimades et humiliations quotidiennes, transfert dans la prison de haute sécurité de Belmarsh. Il faudra la détermination sans faille d’un cabinet d’avocats et le courage de trois juges britanniques pour oser affronter les plus puissants services de Sécurité du monde et proclamer la liberté provisoire d’abord, le non-lieu ensuite, le droit à des indemnités enfin… en mars 2010 !
Mais le plus terrible dans tout cela, c’est que ce journal résonne comme une justification de plus ! Un chapitre entier consacré à qui il est réellement, à son enfance joyeuse dans les rues de Bab el Oued, à ses goûts littéraires et artistiques dévoilant un homme érudit, à son amour du football, à sa passion de l’aviation, à l’attachement qu’il nourrit pour son pays et sa famille : le portrait d’un jeune homme banal somme toute, trop banal justement, comme si encore, malgré une innocence proclamée par la justice britannique, il devait prouver aux yeux du monde qu’il n’est qu’un homme comme les autres. Sans doute, cette justification est-elle encore nécessaire lorsque l’on apprend qu’en 2011, le mandat d’arrêt international délivré à son encontre en 2001 ne cesse d’être renouvelé chaque année, et plane toujours telle une épée de Damoclès, prête à ouvrir les portes de l’extradition vers les États-Unis s’il foule une autre terre que celle du Royaume-Uni ou de l’Algérie. Et si extradition il y a, c’est la mort au bout du chemin.
Mais ce journal, c’est aussi un cri d’espoir, une ode à la vie, car Lotfi Raïssi a su se battre, résister, « réapprendre à être libre » (p. 175), construire et se reconstruire, « accepter [s]on destin » (p. 189), vivre entre Londres et Alger, se remarier et fonder une famille... même si son esprit restera « blessé par un vécu qu[’il] ne pourr[a] oublier jusqu'à [s]a mort » (p. 189).