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L’Asie centrale. Territoires, sociétés et environnement
Par Alain Cariou - Paris, Armand Colin, 2015, 332p.
Enfin un vrai livre de géographie et de réflexion abordant l’Asie centrale dans sa globalité. En effet, jusqu’ici, les chercheurs occidentaux ont presque toujours considéré que le Turkestan oriental – devenu Xinjiang ou « nouvelle frontière » par la grâce des Han – devait être étudié dans le cadre de la Chine. Partant, l’ensemble centre-asiatique était restreint aux cinq républiques ex-soviétiques en « -stan ». Ainsi était mise de côté une immense région grande comme trois fois la France, qui, sur tous les plans, est non seulement partie intégrante de l’Asie centrale, mais en est surtout le fleuron.
Cette discrimination a aujourd’hui cessé avec la parution de L’Asie centrale d’Alain Cariou. L’auteur fournit ainsi une information inédite et toujours passionnante sur cette terra incognita qu’est encore, malgré sa relative ouverture au tourisme, le Xinjiang ou Sérinde, le pays de la soie. A. Cariou est tellement conscient de l’originalité de cet apport qu’il donne souvent une sorte de priorité au « Ouïghourstan », tel que l’appellent les indépendantistes ouïghours. Bien entendu, le Turkestan occidental – ex-soviétique – est présenté dans toutes ses caractéristiques et problématiques désormais connues, voire rabâchées : « la fabrique des nations » par le système communiste, l’assèchement de la mer d’Aral, la tragédie du postsoviétisme, etc. Mais chaque fois que l’occasion se présente, A. Cariou déniche à propos du Turkestan oriental des informations étonnantes, voire inconnues, qui font la nouveauté de son propos.
Ainsi apprenons-nous que le peuple ouïghour, qui désignait au VIIIe siècle une population de l’Altaï turcophone évoluée au point de donner à Gengis Khan ses meilleurs administrateurs, a disparu aux XVIe-XVIIe siècles en tant qu’identité spécifique. Le terme ouïghour ne réapparaît qu’en 1921, au Congrès bolchevik des nationalités à Tachkent : ce nom prestigieux sert alors à désigner les multiples sociétés sédentaires du bassin du Tarim. Il est officiellement repris par les communistes chinois lorsqu’ils fondent, en 1955, la grande Région autonome ouïgoure du Xinjiang. De ce fait, un ethnonyme recréé a été imposé aux 11 groupes ethniques alors comptabilisés au Xinjiang. Cela n’a pas empêché l’apparition, en quelques décennies, d’un virulent nationalisme ouïghour.
Au fil des pages, on apprend également que les Chinois han ne représentaient « officiellement » que 6,7 % – en réalité beaucoup moins – de la population du Xinjiang en 1949, lorsque les communistes de Mao Zedong en ont pris le contrôle. C’est dire à quel point le pouvoir han est mal fondé à invoquer son implantation « bimillénaire » au Xinjiang pour justifier sa prise en compte actuelle de ce territoire. Cette dernière ne repose que sur l’arrivée, de 1947 à 2000, de 3,8 millions de migrants – et de bien d’autres venus, plus tard, de la Chine centrale et côtière. Le résultat actuel est spectaculaire : une dizaine de millions de Han dans le seul Xinjiang, presque autant que d’Ouighours et de turcophones. Les Han sont ainsi devenus, pour l’ensemble de l’Asie centrale, la première minorité étrangère, loin devant les Russes, en constant recul et qui n’y sont guère plus désormais que 5,4 millions.
Malgré la sévérité, voire la férocité du contrôle des naissances imposé par les Chinois, malgré les transferts très impopulaires de main-d’œuvre ouïghoure vers l’est de la Chine, les
peuples turcophones parviennent, pour l’instant, à maintenir localement leur supériorité numérique. Faut-il l’interpréter comme un réflexe de résistance face à la sinisation ? A. Cariou, par impartialité scientifique, évite, ici comme ailleurs, de prendre position. Pourtant, de temps à autre, un rien de passion et de parti pris eut rendu plus stimulante encore la lecture d’un livre au demeurant remarquable.
Cette discrimination a aujourd’hui cessé avec la parution de L’Asie centrale d’Alain Cariou. L’auteur fournit ainsi une information inédite et toujours passionnante sur cette terra incognita qu’est encore, malgré sa relative ouverture au tourisme, le Xinjiang ou Sérinde, le pays de la soie. A. Cariou est tellement conscient de l’originalité de cet apport qu’il donne souvent une sorte de priorité au « Ouïghourstan », tel que l’appellent les indépendantistes ouïghours. Bien entendu, le Turkestan occidental – ex-soviétique – est présenté dans toutes ses caractéristiques et problématiques désormais connues, voire rabâchées : « la fabrique des nations » par le système communiste, l’assèchement de la mer d’Aral, la tragédie du postsoviétisme, etc. Mais chaque fois que l’occasion se présente, A. Cariou déniche à propos du Turkestan oriental des informations étonnantes, voire inconnues, qui font la nouveauté de son propos.
Ainsi apprenons-nous que le peuple ouïghour, qui désignait au VIIIe siècle une population de l’Altaï turcophone évoluée au point de donner à Gengis Khan ses meilleurs administrateurs, a disparu aux XVIe-XVIIe siècles en tant qu’identité spécifique. Le terme ouïghour ne réapparaît qu’en 1921, au Congrès bolchevik des nationalités à Tachkent : ce nom prestigieux sert alors à désigner les multiples sociétés sédentaires du bassin du Tarim. Il est officiellement repris par les communistes chinois lorsqu’ils fondent, en 1955, la grande Région autonome ouïgoure du Xinjiang. De ce fait, un ethnonyme recréé a été imposé aux 11 groupes ethniques alors comptabilisés au Xinjiang. Cela n’a pas empêché l’apparition, en quelques décennies, d’un virulent nationalisme ouïghour.
Au fil des pages, on apprend également que les Chinois han ne représentaient « officiellement » que 6,7 % – en réalité beaucoup moins – de la population du Xinjiang en 1949, lorsque les communistes de Mao Zedong en ont pris le contrôle. C’est dire à quel point le pouvoir han est mal fondé à invoquer son implantation « bimillénaire » au Xinjiang pour justifier sa prise en compte actuelle de ce territoire. Cette dernière ne repose que sur l’arrivée, de 1947 à 2000, de 3,8 millions de migrants – et de bien d’autres venus, plus tard, de la Chine centrale et côtière. Le résultat actuel est spectaculaire : une dizaine de millions de Han dans le seul Xinjiang, presque autant que d’Ouighours et de turcophones. Les Han sont ainsi devenus, pour l’ensemble de l’Asie centrale, la première minorité étrangère, loin devant les Russes, en constant recul et qui n’y sont guère plus désormais que 5,4 millions.
Malgré la sévérité, voire la férocité du contrôle des naissances imposé par les Chinois, malgré les transferts très impopulaires de main-d’œuvre ouïghoure vers l’est de la Chine, les
peuples turcophones parviennent, pour l’instant, à maintenir localement leur supériorité numérique. Faut-il l’interpréter comme un réflexe de résistance face à la sinisation ? A. Cariou, par impartialité scientifique, évite, ici comme ailleurs, de prendre position. Pourtant, de temps à autre, un rien de passion et de parti pris eut rendu plus stimulante encore la lecture d’un livre au demeurant remarquable.