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L’archipel des camps. L’exemple cambodgien
Christel Thibault Paris, PUF, 2008, 179 p
Entre 1970 et 1979, le Cambodge a sans doute connu les heures les plus sombres de son histoire récente. Après l’arrivée au pouvoir de Lon Nol, dictateur soutenu par la CIA, le début d’une guerre civile sanglante en marge de la guerre du Vietnam, l’épouvantable utopie meurtrière des Khmers rouges de 1975 à 1979, et une guerre éclair désespérée pour conquérir le delta du Mékong, le Vietnam a imposé sa loi dans un pays totalement exsangue, et qui trente ans après panse encore ses plaies béantes.
Pour beaucoup, l’invasion vietnamienne est assimilée à une libération du peuple cambodgien, enfin débarrassé des Khmers rouges. Mais la période de l’occupation vietnamienne, dans les années 1980, encore peu étudiée, fut également tragique pour le Cambodge. La mise sous tutelle d’une puissance étrangère poussa ainsi les anciens maîtres de Phnom Penh dans des régions difficiles d’accès, où ils poursuivirent le combat. Pendant ce temps, les populations civiles s’entassaient dans des camps de réfugiés, la plupart installés à la hâte en territoire thaïlandais, à quelques kilomètres du Cambodge. Ce furent ainsi de véritables villes au confort sommaire, mais dans lesquelles de véritables sociétés s’organisèrent, qui accueillirent des centaines de milliers de personnes pendant plusieurs années.
La guerre civile se poursuivit pendant des années, avec comme symbole les centaines de milliers de mines dispersées sur l’ensemble du territoire, par des rebelles souhaitant déstabiliser le pouvoir pro-vietnamien, et par les troupes d’occupation souhaitant anéantir la guérilla. Mais comme toujours, ce sont les civils qui payèrent le prix fort de ces affrontements. Pendant ce temps, à l’intérieur même du territoire cambodgien, des enclaves contrôlées par les rebelles, et bénéficiant d’une aide extérieure véhiculée via les camps de réfugiés, se mirent en place. Le rôle des puissances étrangères, soucieuses de contrecarrer les projets vietnamiens, fut ainsi déterminante, et le Cambodge fut une fois de plus pris en otage de jeux géopolitiques le dépassant. Cette période qu’on pourrait qualifier d’après génocide, mais qui fut en fait une occupation, prit fin avec le traité de Paris signé en 1992, et au tournant de l’après-guerre froide, avec les modifications géostratégiques de la fin du xxe siècle. Mais encore aujourd’hui, le Cambodge peine à tourner définitivement la page de trois décennies particulièrement sombres.
Résultat d’une enquête de terrain rigoureuse, le travail de Christel Thibault est considérable en ce qu’il nous invite à nous interroger sur ce qui vient après le temps du génocide, dans une société à la dérive plus occupée à survivre qu’à se pencher sur son devoir de mémoire. Au-delà de l’exemple cambodgien, c’est une étude sur l’impact des transformations d’une société en exil et vivant aux marges qui est ici développée. Les relations entre action humanitaire, droit d’ingérence et participation active aux conflits sont analysées, et l’exemple cambodgien, loin d’être un cas isolé, doit servir à prévenir des situations aussi catastrophiques dans l’avenir.