L’après-pétrole a commencé
Serge Enderlin Paris, Seuil, avril 2009, 172 p.
Il est quand même assez provocateur d’appeler son livre L’après pétrole a commencé alors que cela fait presque trente ans qu’on en parle… Néanmoins, Serge Enderlin, grand reporter, ne s’attache pas précisément à retracer les dernières années du pétrole mais, au contraire, se focalise sur le monde de l’après-pétrole... Ce qui ne veut pas dire que celui-ci aura totalement disparu. Factuelles et intelligibles, les huit parties du livre renvoient chacune à différents enjeux du xxie siècle. Ou comment comprendre « la difficile gestation du monde de l’après-pétrole » (p. 171) dans un « monde obsédé par son avenir énergétique, mais aussi écologique » (p. 19).
L’ouvrage s’ouvre naturellement sur la Chine, ce gouffre énergétique. Le développement à tout crin est incarné par la croissance exponentielle du nombre de véhicules, ce qui en fait l’un des pays les plus pollués mais aussi un des plus obnubilés par sa sécurité énergétique. Or, pour répondre à ce défi, la Chine n’a d’autres moyens que de valoriser son charbon qui couvre 85 % de ses besoins en énergie. Par ailleurs, les conquêtes pétrolières par les firmes chinoises sont favorisées : Afrique, Moyen-Orient… Mais aussi au Canada, cadre du second chapitre.
Cette « dernière frontière du brut » est symbolisée par les sables bitumineux de l’Alberta, exploitation uniquement rendue possible par les prix élevés du pétrole et par sa rareté croissante. Crime écologique en cours, le sable bitumineux demande une dépense d’énergie démesurée afin de produire des barils de brut. Ainsi, pour deux barils de brut canadien, on en utilise un en énergie et cinq d’eau pour le rincer. Outre la pollution de l’air et des nappes phréatiques, le désastre écologique est amplifié par la déforestation et le dégagement de méthane (26 fois plus nocif que le CO2) issu des tourbières (30 % de la forêt boréale).
En plus de la raréfaction du pétrole conduisant à la valorisation de ses formes les moins conventionnelles, un des problèmes récurrents concerne l’estimation des réserves pétrolières (chapitre 3), comme le montre le fameux débat sur le peak oil porté par l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil and Gas). Colin Campbell, son fondateur et ancien géologue pétrolier, rappelle ainsi que l’estimation des réserves a toujours été « exercice collectif de myopie organisée […] tacitement accepté. Parce que c’était bon pour le cours des actions » (p. 57).
Ajoutées à cela les questions géopolitiques (chapitre 4) – les crispations s’accentuent dans les grands centres productifs mondiaux –, nous nous dirigerions vers le chaos sans que cela n’émeuve grand monde. Yves Cochet, député écologiste, résume la situation telle quelle : « le mode de vie occidental est tout simplement en jeu. À mes yeux, il est condamné sous sa forme consumériste actuelle si l’on souhaite éviter les guerres de l’énergie qui se préparent. Cela étant, il est tout à fait probable que nous ne disposions pas de la lucidité nécessaire pour échapper à ce destin » (p. 59).
Toutefois, Serge Enderlin se propose d’évoquer les solutions pour nous désintoxiquer du pétrole. À commencer par le charbon (chapitre 5) ou « l’avenir radieux d’un délinquant climatique » (p. 91). Obsédés par leur sécurité énergétique, les États-Unis, qui ont les plus importantes réserves mondiales et où l’électricité provient pour moitié du charbon, font de la houille l’énergie patriotique par excellence. Le clean coal et la technologie de capture du carbone sont sensés apporter des solutions au défi écologique mais celles-ci s’avèrent démagogiques. Dans le meilleur des cas, il faudra vingt ans pour trouver des réponses pertinentes.
L’auteur aborde aussi le rôle des biocarburants (chapitre 6). Plusieurs pays (États-Unis, Brésil, Indonésie) les promeuvent comme réponse soi-disant adéquate à la crise énergétique et environnementale. Néanmoins, les deux défis centraux restent l’arbitrage énergie-nourriture concernant les terres arables, facteur de hausse des prix des denrées alimentaires, ainsi que la consommation d’une grande quantité d’énergie et d’eau pour produire les biocarburants.
Les deux derniers chapitres sont plus portés sur des solutions pérennes, selon l’auteur. Tout d’abord, le nucléaire qui fait un « come back inespéré » (p. 135) et est envisagé afin de répondre à la demande croissante en électricité, d’améliorer la sécurité énergétique et de réduire leurs émissions de CO2. Néanmoins, des questions restent en suspens, notamment sur la gestion des déchets. L’autre solution concerne l’éolien et le solaire. Déjà, l’Allemagne, le Danemark et l’Espagne ont fait le pari des énergies renouvelables avec, à la clé, la concordance entre respect environnemental et développement économique. Ainsi, une des conclusions à retenir de ce livre est que le progrès technique et la volonté seront des déterminants beaucoup plus efficaces pour relever les défis énergétiques du xxie siècle que l’angélisme.