See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
L’an I des révolutions arabes
Bernard Guetta Belin, Paris, 2012, 302 p.
Cet ouvrage rassemble la plupart des chroniques et des éditoriaux du journaliste et spécialiste de géopolitique Bernard Guetta, portant sur les événements dans le monde arabe et en Iran, diffusés sur France Inter ou publiés dans Libération et La Repubblica durant l’année 2011. Ce type de compilation ne constitue pas un exercice aisé. Il ne peut fournir qu’une lecture « immédiate » des évènements des « Printemps arabes » sans toujours apporter le recul dans l’analyse. Cependant la narration factuelle qui en découle : réaction dans l’instant, réflexions provoquées au moment même par l’évènement, est un exercice unique dont la somme fait de l’ouvrage une précise description des évènements révolutionnaires. Si le procédé apporte inévitablement une certaine redondance des propos, il permet surtout de suivre et revivre l’évolution de ces bouleversements politiques.
Au fil de la lecture, B. Guetta présente quelques idées structurantes et cohérentes. La première, optimiste, fait de la marche vers la démocratie et les libertés le sens de l’histoire actuelle : il est en cela influencé par son expérience personnelle de journaliste ayant couvert la fin du bloc soviétique. Ce triomphe de la démocratie s’inscrit dans l’essor de la modernité et découle du rôle majeur joué par les classes moyennes pour renverser le monopole des élites des régimes autoritaires et clientélistes. Une autre idée centrale dans ces chroniques insiste sur une présentation rassurante de l’islamisme : le jihadisme est, pour l’essentiel, vaincu ou en déclin, et l’islamisme qui triomphe aujourd’hui dans les pays au cœur d’un processus de transition politique reflète plutôt le modèle de l’AKP turc, même si l’auteur demeure prudent sur les possibilités de reproduction d’un tel modèle dans des contextes nationaux bien différents.
Les représentants des partis et mouvements laïcs ont été battus à leur propre jeu démocratique par les islamistes lors des élections qui ont suivi le début des « Printemps arabes », mais la faute leur incombe entièrement : divisés, mal organisés, peu implantés dans les zones les plus pauvres, les démocrates de la capitale laissent pour l’instant la place à des mouvements islamistes, souvent issus de la résistance à l’oppression, comme Ennhada. Selon B. Guetta, « Ennhada, c’est une droite européenne d’avant-guerre, dévote, traditionnaliste, réactionnaire, tout sauf éclairée, mais si peu fanatique, et si peu tentée par la violence que les rares vrais intégristes tunisiens se sont détournés de ce parti, trop séculaire à leurs yeux » (p. 254).
Optimiste, le journaliste l’est encore lorsqu’il évoque le retrait des militaires égyptiens du pouvoir, la propagation irrésistible de la démocratie dans les États encore autoritaires, ou encore l’effondrement du régime syrien. Il est facile, quelques mois après la parution de la dernière chronique, de pointer les excès d’enthousiasme : les militaires égyptiens sont en train de réinstaller une dictature ; l’Iran, l’essentiel de la péninsule arabique ou encore l’Algérie résistent toujours à la contagion démocratique ; et le régime syrien tarde à périr. L’auteur rappelle à juste titre que la disparition de ce dernier entraînerait une révision fondamentale du système régional, avec un affaiblissement des mouvements radicaux et de l’Iran, mais aussi certainement un renforcement du clivage sunnite-chiite. Bien que l’idée d’un « croissant chiite » soit souvent combattue par les experts français, l’évolution politique actuelle tendrait à donner raison à Bernard Guetta.