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L’Afrique en face
Vincent Hugeux Paris, Armand Colin, juin 2010, 192 p.
Les journalistes français spécialisés sur l’Afrique se comptent sur les doigts d’une main. Avec Philippe Bernard (Le Monde), Thomas Hofnung (Libération) et Laurent d’Ersu (La Croix), Vincent Hugeux fait partie de ce petit quatuor. Là où les autres hebdomadaires français n’évoquent guère l’Afrique que pour rendre compte des guerres civiles qui l’ensanglantent ou des catastrophes naturelles qui la frappent, les articles de Vincent Hugueux dans L’Express regardent « l’Afrique en face », sans complaisance ni acharnement, à rebours des poncifs afro-pessimistes comme afro-optimistes.
Telle est l’ambition affichée de ce petit livre, écrit sur le mode pédagogique d’une « Afrique expliquée à ma fille » et visant un plus large public que la captivante sociologie des « sorciers blancs », ces faux amis français de l’Afrique qu’il avait étudiés dans son précédent ouvrage[1]. Faisant pertinemment remarquer que l’Afrique est, avec l’Europe, le seul continent au monde analysé sur un mode moral (« parle-t-on d’« américano-pessimistes » ou d’« asio-optimistes » ?) Vincent Hugeux entend faire profession d’afro-réalisme et restituer la réalité d’un continent délesté de tout présupposé idéologique. Son court ouvrage fait le tour des idées reçues qui circulent sur l’Afrique qu’il rassemble en dix clichés : le boom démographique, la situation sanitaire, la prolifération des conflits armés, la difficile acculturation de la démocratie, l’improbable construction régionale, l’incestueuse relation franco-africaine etc. Sur ce dernier point, l’auteur fait un bilan sévère de trois années de politique sarkozyenne : « l’ère Sarkozy aura été […] celle des occasions manquées et des vaines promesses » (p. 161). La faute en incombe selon lui au peu d’intérêt du nouveau Président pour l’Afrique et à une « cascade d’erreur de castings » (p. 168). En effet, la rupture avec la Françafrique annoncée par le candidat Sarkozy dans le discours de Cotonou a été déléguée par le président élu à des partisans du statu quo : Claude Guéant « dans son costume pourpre de cardinal », Robert Bourgi « en intrigant levantin » et Patrick Balkany « dans le rôle du matamore » (p. 173). Décidément, Vincent Hugeux n’est pas un adepte de la langue de bois !
Chaque chapitre est introduit par un dialogue imaginaire entre un Candide inaltérablement optimiste et une Cassandre maladivement pessimiste. Ces dialogues, volontairement rédigés sur un mode familier, flattent le goût de Vincent Hugeux pour la formule ironique voire le calembour. Certains font sourire : le marigot pétrolier : « du brut, peu de bons et pas mal de truands » (p. 123). D’autres moins : un projet de centrale solaire dans le désert : « saharien d’étonnant » (p. 147). Après ce dialogue vient le verdict rendu par l’auteur autoproclamé juge de paix : « l’Afrique donne de la gîte […]mais elle ne chavire pas […] elle godille entre les écueils » (p. 184). Et Vincent Hugeux de conclure son analyse sur un pari pascalien finalement assez afro-optimiste : « On peut, on doit, miser sur la ténacité de ce milliard d’humains épris, dans leur immense majorité de bien-être, de dignité et de liberté » (p. 185).