See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
L’Adieu aux armes ? Parcours d’anciens combattants
Nathalie Duclos (sous la dir.) Paris, Karthala, 2010, 429 p.
Cet ouvrage collectif tente de balayer les problématiques de sortie de conflits en voulant décloisonner les disciplines et en privilégiant une analyse comparative qui s’appuie sur des études de conflits actuels et anciens. L’enjeu est bien sûr d’actualité : comment réussir une sortie de guerre, c'est-à-dire revenir à une société pacifiée et harmonieuse sans risque de reprise des violences ? Deux sujets structurent la réflexion : la brutalisation des sociétés (les auteurs citant les travaux de George Mosse, mais souvent pour en critiquer ou en relativiser l’application pour leur propre terrain de recherche), et le devenir des anciens combattants comme acteurs – souvent encombrants – sociaux et politiques.
La brutalisation ne résulte pas uniquement des conflits, elle n’est pas non plus une fatalité des pays ayant fait l’expérience de la guerre. Un niveau élevé de violence préexiste souvent chez ces derniers, et explique les comportements aberrants des combattants pendant et après les combats (cf. en particulier les contributions sur la Tchétchénie et la Côte d’Ivoire). Mais, bien sûr, la culture du combattant, l’habitus guerrier, formés durant les conflits rendent encore plus sensibles cette difficulté de réinsertion des guerriers après la guerre. Les combattants seront d’autant plus vite forcés d’abandonner leurs comportements violents que la société elle-même aura échappé à la brutalisation et refusé de glorifier l’ethos guerrier (cf. analyse sur le retour des miliciens serbes). La prise en main par l’Etat, à ce stade, est essentielle : il peut renoncer à traiter la violence inscrite dans les comportements d’un groupe social (Russie), prendre les choses en mains (retour des soldats au Canada en 1945) ou l’instrumentaliser tout en la canalisant (Turquie). L’enjeu est essentiel, car les combattants forment une catégorie qui prend conscience de sa spécificité et de sa force politique : à bon escient, en le traduisant dans le jeu politique pacifié ou normalisé (mouvement séparatiste sarde), mais souvent pour engager un rapport de forces afin d’obtenir traitement spécial (anciens du LRA en Ouganda), voire pérenniser une économie criminelle liée d’ailleurs au conflit (l’étude des paramilitaires en Colombie est exemplaire).
À ce stade, la mise en œuvre des opérations de démobilisation et de réintégration est essentielle, et la mauvaise qualité des programmes, ou le manque d’intérêt accordé par l’État, explique que nombre de conflits reprennent quelques temps après une période de cessation des combats. Offrir une perspective d’avenir économique et de promotion sociale est déterminant : l’échec patent face à cet impératif a préparé, par exemple, la reprise des violences auxquelles nous assistons actuellement en Côte d’Ivoire. En Colombie, le narcoparamilitarisme (pour reprendre le néologisme offert par la contribution de Sophie Daviaud) demeure une voie plus intéressante pour les anciens combattants dans un contexte économique terne, et toujours marqué par de terribles inégalités sociales.
Sans présenter des recommandations pour l’amélioration de la gestion de sortie de conflits, cet ouvrage sera utilement lu pour comprendre les complexités du retour du guerrier dans une vie « normale ».