See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
L’adieu à l’Europe. L’Amérique latine et la Grande Guerre
par Olivier Compagnon - Paris, Fayard, 2013, 394 p.
La réflexion développée par Olivier Compagnon se fonde sur le constat d’un vide dans les travaux consacrés à l’Amérique latine contemporaine : « L’Amérique latine n’est pas davantage présente dans l’historiographie de la Première Guerre mondiale que celle-ci ne l’est dans l’historiographie du XXe siècle latino-américain » (p. 10). En effet, l’éloignement géographique de cette région et sa faible implication directe dans la guerre ont conduit à y occulter l’impact de cette dernière, qui n’a jamais été considérée comme une rupture dans cette partie du monde, à l’inverse, notamment, de la crise de 1929 ou de la révolution cubaine. L’auteur se fixe donc pour objectif de réévaluer l’importance du premier conflit mondial dans la région et de démontrer que celui-ci « peut constituer un moment particulier dans l’histoire du XXe siècle latino-américain » (p. 12).
O. Compagnon se concentre sur les cas argentin et brésilien, notamment en raison de l’abondante production intellectuelle de ces deux pays et de leur stabilité interne à l’époque du conflit, adoptant une méthodologie comparatiste. S’appuyant sur des sources politiques et diplomatiques, mais surtout sur des écrits et des débats d’intellectuels des pays étudiés, il cherche à dégager les dynamiques communes à ces deux pays rivaux, ainsi que l’impact de leurs divergences en termes politiques, économiques, sociaux et de population sur leurs expériences respectives de la guerre et les conséquences de ces différences après la fin de celle-ci. L’un des objectifs de cette démarche est de se distancier de certaines approches essentialistes, qui ont tendu à appréhender l’Amérique latine comme un tout homogène en négligeant les particularités nationales et locales.
La première partie de l’ouvrage est consacrée à la perception de la Première Guerre mondiale par les acteurs de la vie politique et intellectuelle des pays étudiés, ainsi que ses conséquences sur leur vie politique, économique et diplomatique. Si des dynamiques comparables ont amené l’Argentine et le Brésil à adopter une posture de neutralisme revendiqué au début du conflit, en dépit d’une opinion largement pro-Alliés dans les deux cas, l’analyse développée détaille les divergences d’intérêts qui ont mené le géant lusophone à entrer en guerre en 1917, alors que son voisin demeurait dans une attitude de neutralité bienveillante envers les Alliés.
La seconde partie détaille comment la durée et les horreurs de la guerre ont conduit les intellectuels latino-américains à remettre en cause le paradigme, jusqu’alors largement dominant en Amérique latine, faisant de l’Europe le seul modèle de civilisation et la référence politique et culturelle absolue. « Le cataclysme actuel est le crépuscule d’une civilisation » (p. 196), déclara un intellectuel latino-américain cité dans cette partie. O. Compagnon démontre que cette désillusion peut être datée de la Première Guerre mondiale plutôt que de la Seconde, comme l’avaient fait la plupart des chercheurs jusqu’alors.
Enfin, cette distanciation vis-à-vis du Vieux Continent a mené les penseurs latino-américains à rechercher de nouvelles références et à réfléchir à leur propre identité latino-américaine, ce qui constitue l’objet de la dernière partie du livre. En plus de l’émergence de courants littéraires et artistiques proprement latino-américains, cette rupture contribua également, selon l’auteur, à une inflexion de la politique interne et des orientations économiques de ces deux pays, liée aux réflexions renouvelées sur le référent national et sur la dépendance envers les marchés extérieurs. Ces phénomènes étaient connus et largement commentés, mais l’apport de l’ouvrage est constitué par leur mise en relation avec la désillusion née de la Grande Guerre.
S’appuyant sur une documentation abondante et une méthode historique rigoureuse, L’adieu à l’Europe contribue à renouveler les débats sur la périodisation du XXe siècle latino-américain, suscitant par là même l’intérêt de nombreux chercheurs européens, nord-américains et latino-américains.
O. Compagnon se concentre sur les cas argentin et brésilien, notamment en raison de l’abondante production intellectuelle de ces deux pays et de leur stabilité interne à l’époque du conflit, adoptant une méthodologie comparatiste. S’appuyant sur des sources politiques et diplomatiques, mais surtout sur des écrits et des débats d’intellectuels des pays étudiés, il cherche à dégager les dynamiques communes à ces deux pays rivaux, ainsi que l’impact de leurs divergences en termes politiques, économiques, sociaux et de population sur leurs expériences respectives de la guerre et les conséquences de ces différences après la fin de celle-ci. L’un des objectifs de cette démarche est de se distancier de certaines approches essentialistes, qui ont tendu à appréhender l’Amérique latine comme un tout homogène en négligeant les particularités nationales et locales.
La première partie de l’ouvrage est consacrée à la perception de la Première Guerre mondiale par les acteurs de la vie politique et intellectuelle des pays étudiés, ainsi que ses conséquences sur leur vie politique, économique et diplomatique. Si des dynamiques comparables ont amené l’Argentine et le Brésil à adopter une posture de neutralisme revendiqué au début du conflit, en dépit d’une opinion largement pro-Alliés dans les deux cas, l’analyse développée détaille les divergences d’intérêts qui ont mené le géant lusophone à entrer en guerre en 1917, alors que son voisin demeurait dans une attitude de neutralité bienveillante envers les Alliés.
La seconde partie détaille comment la durée et les horreurs de la guerre ont conduit les intellectuels latino-américains à remettre en cause le paradigme, jusqu’alors largement dominant en Amérique latine, faisant de l’Europe le seul modèle de civilisation et la référence politique et culturelle absolue. « Le cataclysme actuel est le crépuscule d’une civilisation » (p. 196), déclara un intellectuel latino-américain cité dans cette partie. O. Compagnon démontre que cette désillusion peut être datée de la Première Guerre mondiale plutôt que de la Seconde, comme l’avaient fait la plupart des chercheurs jusqu’alors.
Enfin, cette distanciation vis-à-vis du Vieux Continent a mené les penseurs latino-américains à rechercher de nouvelles références et à réfléchir à leur propre identité latino-américaine, ce qui constitue l’objet de la dernière partie du livre. En plus de l’émergence de courants littéraires et artistiques proprement latino-américains, cette rupture contribua également, selon l’auteur, à une inflexion de la politique interne et des orientations économiques de ces deux pays, liée aux réflexions renouvelées sur le référent national et sur la dépendance envers les marchés extérieurs. Ces phénomènes étaient connus et largement commentés, mais l’apport de l’ouvrage est constitué par leur mise en relation avec la désillusion née de la Grande Guerre.
S’appuyant sur une documentation abondante et une méthode historique rigoureuse, L’adieu à l’Europe contribue à renouveler les débats sur la périodisation du XXe siècle latino-américain, suscitant par là même l’intérêt de nombreux chercheurs européens, nord-américains et latino-américains.