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La structuration du marché européen de l’armement .
Jean-Barthélémy Maris LHarmattan, coll. Logiques juridiques, Paris, 2012, 545 p.
Alors que l’Europe s’est construite sur la libre circulation des biens et des services, la structuration du marché de la défense reste à ce jour inachevée. La thèse de cet ouvrage en dresse l’histoire d’un point de vue juridique. La défense et l’armement garantissent la souveraineté des États alors que la construction européenne tend à un effacement des souverainetés au profit d’une supranationalité. Les États fondateurs décident donc d’inscrire dans les traités européens par l’article 296 TCE (nouvellement art.346 TFUE) l’exclusion du secteur de la défense du marché commun. C’est la raison du retard pris par rapport aux autres marchés et qui explique aujourd’hui les difficultés de l’UE dans le domaine.
L’échec de la création de la Communauté européenne de défense (CED) en 1956 brise l’élan européen de créer non seulement une armée commune face à la menace soviétique mais aussi et par conséquent la création d’une Base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). En effet pour s’équiper d’une armée, l’Europe a besoin d’un tissu industriel supranational qui permette la mutualisation de la recherche, du développement et de la production de système d’armement. Ces deux phénomènes étant liés, chaque pays qui possède des capacités industrielles suffisantes développer sa propre industrie de défense (France, Allemagne, Royaume-Uni et dans une moindre mesure Espagne). Les autres pays européens,les pays du Pacte de Varsovie notamment, préfèrent – après sa disparition –s’équiper auprès de l’industrie américaine. Le résultat est flagrant : au début des années 2000, « alors que le budget global [de défense] de l’ensemble des États membres [de l’Union européenne] représente environ 50 % du budget américain, les capacités qui en résultent ne représentent qu’entre 10 et 15 % des américaines » (p. 465). Ce résultat est la conséquence du refus des États membres à renoncer à leur souveraineté en matière de défense. L’ouvrage recense les tentatives multiples pour unifier ce marché : d’abord en dehors des institutions européennes avec l’Union de l’Europe occidentale (UEO), puis en 1996 l’Organisation conjointe en matière d’armement (OCCAR). En 2000, les six principaux producteurs d’armement européens signent un accord-cadre avec la Lettre d’intention (LdI) et en 2004 l’Agence européenne de la défense (AED) est créée et rattachée aux institutions européennes. Ces différentes institutions n’ont jamais démontré une réelle efficacité pour créer une BITDE. Parallèlement, la Commission européenne a tenté d’assouplir l’application de l’art. 346 TFUE grâce aux arrêts de la Cour européenne de justice afin de promouvoir un marché commun de la défense en particulier en facilitant les échanges intra-européens de biens à double emploi (civil et militaire). Une des solutions envisagées est la communautarisation des marchés publics liés à la défense : comme les États sont les seuls clients des entreprises de défense, une mutualisation des demandes a été mise en place au sein de l’AED. Mais les États producteurs souhaitant soutenir leur industrie nationale peuvent contourner ce dispositif par de nombreuses exceptions juridiques. L’autre solution pour unifier la BITDE est d’agir sur l’offre en simplifiant les transferts de biens et de technologies par un système de licence intra-européenne facilitant les échanges en évitant les 27 réglementations des membres de l’UE. Ce dispositif qui se met en place facilite les échanges mais ne semble pas suffisant pour aboutir à la création véritable d’une BITDE.
Cet ouvrage très complexe et complet est nécessaire pour comprendre les immenses difficultés qui existent pour créer à la fois une force de défense européenne et une BITDE. Les États protègent leur souveraineté et leur industrie de défense qui garantissent leur indépendance mais aussi une activité économique non négligeable. Alors que la crise de la dette oblige les États à réduire leur budget, la solution d’une mutualisation européenne dans le domaine de la défense ne semble pourtant pas encore à l’ordre du jour.