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La Russie
Pierre Thorez (sous la dir.) Paris, CNED/SEDES, 2007, 381 p.
Ayant consacré sa thèse d’Etat à l’étude de la région caucasienne, Pierre Thorez est, en France, un des plus éminents connaisseurs de la géographie de la Russie. Ses travaux font scientifiquement autorité et son dernier opus (auquel participent également Yvette Vaguet, Vladimir Kolossov et Andreï Treïvich) ne déroge pas à la règle.
Brillant, le texte se distingue par une volonté d’exhaustivité qui transparaît au travers d’une approche démonstrative classique et efficace. Aux premiers chapitres de géographie générale succède une typologie régionale, qui repose sur un découpage géopolitique novateur, en l’occurrence les sept okrougs fédéraux mis en place par le Kremlin en 2000. L’auteur s’en explique. D’une part, il s’agit de donner vie à une démarcation administrative récente mais dont la substance reprend « l’idée des macro-régions économiques qui avaient été instaurées par le pouvoir soviétique ». D’autre part, ces territoires offrent une cohérence statistique certaine. Par ailleurs, leur fonctionnement interne, plus ou moins centré autour d’une capitale politique où réside le représentant du pouvoir central, est révélateur d’évolutions majeures, dictées notamment par une activité urbaine qui métropolarise de plus en plus le territoire russe. Enfin, ce découpage permet de saisir, à l’échelle régionale, quelques grandes lignes de force qui singularisent un espace russe profondément « disparate ».
Un des très grands mérites de l’ouvrage de Pierre Thorez réside dans la capacité de l’auteur à réfléchir sur les conséquences globales que l’écroulement du système communiste a entraînées sur une société traumatisée par une « transition » au cours de laquelle « le terme “démocrate” a pris une connotation très négative pour une partie de la population ». Fâcheusement, la population russe a surtout retenu de l’après-1991 l’enkystement d’une crise économique sans précédent concomitante à la montée irréfragable de la corruption et de la criminalité cependant que certaines coteries proches du pouvoir organisaient le véritable « racket » de l’outil productif de l’État. Subséquemment, la période postsoviétique s’est caractérisée par une stricte aggravation des fractures sociales au profit exclusif d’une « minorité agissante » dont l’avatar paroxystique demeure la caste dominante des oligarques. A contrario, la majorité a surtout souffert d’une libéralisation à la hussarde tant du jeu politique qu’économique : « passive et résignée, [elle est surtout] plus soucieuse d’assurer sa subsistance que les orientations du pays ». À cet égard, la claire détérioration des équilibres démographiques du pays traduit éloquemment l’entropie sociale du pays.
En outre, l’auteur replace objectivement à sa juste valeur l’action économique et sociale de feue l’URSS. Il rappelle notamment que cette dernière avait eu le mérite de faire passer « la Russie d’une société agrarienne à une société industrielle dotée de bases sans doute obsolètes mais qui avaient le mérite d’exister ». De fait, l’actuel regain de puissance du pays s’explique, en partie, par la volonté du pouvoir « autoritaire » en place aujourd’hui à Moscou de « moderniser et d’accroître le potentiel » productif du pays, et ce « fort de l’héritage soviétique en terme d’infrastructures et de main d’œuvre ». Dès lors, les grands avantages comparatifs de la Russie d’aujourd’hui sont ceux de l’Union soviétique de jadis : les hydrocarbures, les matières premières minérales, l’industrie lourde reconvertie et ajustée aux standards de production les plus performants… Et les mêmes points faibles demeurent, l’agriculture au premier chef.
Mais cela n’exclut pas des mutations et des innovations permanentes qui permettent d’insérer la Russie dans le vaste système monde. À cette aune, la Russie dispose d’un atout maître : la ville de Moscou. Pôle de cristallisation du « business » russe, place privilégiée des investissements étrangers. La capitale est aujourd’hui une agglomération de 10,7 millions d’habitants, deux fois plus peuplée que Saint-Pétersbourg. Point de convergence des réseaux de transport, elle accapare désormais une grande partie de l’activité de pointe de la Russie. Avec un revenu moyen par habitant deux fois supérieur à la moyenne russe, Moscou se complaît dans l’étalement d’une richesse insolente et parvenue alors que l’essentiel de sa population souffre de la pauvreté et de la spéculation foncière qui règnent dans « une des villes les plus chères du monde ».
En définitive, tout lecteur avide de mieux connaître la Russie fera son miel d’une synthèse remarquable qui réunit d’insignes qualités : rigueur formelle, brillante articulation du propos, précision statistique et factuelle avec un vrai souci du détail qui dénote une grande fréquentation des espaces analysés.