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La Revanche du Sud
Philippe Marchesin Paris, L'Infini, 2010, 264 p.
Ce temps d'un « Occident qui écrit quand l'Orient, lui, est décrit » est révolu. Aujourd'hui, l'Orient prend la plume et redessine l'ordre mondial. Le moteur de cette dynamique: la revanche, cette volonté de « reprendre l'avantage (...), de vaincre après avoir eu le dessous, de compenser une injure ou un préjudice »; telle est l'hypothèse au cœur de l’ouvrage de Philippe Marchesin, qui actualise, ici, ses travaux sur les rapports Nord-Sud.
L'auteur introduit sa réflexion en exposant les causes de cette revanche. Il retrace l'évolution du rapport de ces pays au capitalisme, du temps où l'afro-asiatisme à Bandung était soudé par la critique du libéralisme, jusqu'à nos jours, où le Sud se pose en défenseur de la mondialisation. Une page se tourne, mais le livre, lui, s'est ouvert il y a bien longtemps. Face à ce monde qui nous apparait comme nouveau, P. Marchesin s'interroge: cette réussite économique ne serait-elle pas une forme de renaissance, faisant écho à un glorieux passé? Il fut un temps où la civilisation était à Byzance, Bagdad ou Pékin (p. 45). En effet, on imprimait en Chine le Traité Sutra du Diamant six siècles avant la Bible de Gutenberg; Aryabhata démontrait la révolution de la Terre autour du soleil dix siècles avant Copernic et l'Empereur moghol Akbar prônait le pluralisme et la tolérance, quand l'Inquisition faisait encore rage en Europe (p. 50). Aussi, l'auteur ne manque pas de souligner les origines doubles du déclin; tant internes (nombrilisme et luttes intestines entre élites) qu'internationales (la domination européenne commençant à s'exercer suite à la révolution industrielle). Puis, il revient sur le « temps des affronts », soit cinq siècles de colonialisme et d'impérialisme, menés au rythme d'une trilogie: « marchands, missionnaires, militaires » (p. 84). Là encore, il n'en fait pas l'occasion d'une énième repentance, mais un exposé de concepts anthropologiques de la représentation de l'autre, qui résonnent encore dans certaines mémoires.
Après avoir exposé les causes de cette revanche, l'auteur s’intéresse à ses modalités. D'une part, elle s'illustre à travers la confrontation directe Nord-Sud. Se posent alors plusieurs questions, dérangeantes ou pertinentes selon les positions, telle la légitimité d'institutions plus représentatives du monde de 1945 que de celui de 2045. Mais cette revanche, et c'est là la nouveauté, prend désormais la forme indirecte de rapports Sud-Sud. Les pays « émergents » développent des relations bilatérales avec les plus faibles. Ce renouveau se joue sur deux terrains: le diplomatique et l'économique. Ainsi, on assiste à la renaissance de la diplomatie Sud-Sud, qui n'est pas sans rappeler les moments forts du Tiers-mondisme incarné par Nasser, Nehru et Tito, partisans d'un « 1789 de l'humanité » (p. 161) et aux liens croissants entre firmes transnationales issues du Sud.
Cependant, les premiers conflits ne tardent pas à apparaître: opacité des contrats, accaparements fonciers incontrôlés (notons en tête des acquisitions, le surprenant trio: Chine, Arabie Saoudite et Émirats Arabes Unis), tensions commerciales ou quand le « made in China » étouffe dans l'œuf l'artisanat africain...
Un triple constat s'impose: le monde change, le Sud avance et le Nord stagne. Que faire face à des Etats qui revendiquent leur « droit au développement»? L'Occident doit se repenser; de là à avoir le courage du partage... P. Marchesin analyse ces confrontations, nous offrant un ouvrage de structure didactique, à l'écriture humble et au contenu riche. Traiter ce vaste sujet l'amène, on le regrette, à faire l'impasse sur un pan du monde en pleine ébullition qui bouleverse la donne géopolitique: le monde arabe se défait de son habit de « ressentiment » et révèle un peu plus les défaillances du Nord. Cet ouvrage en appelle donc d'autres.