La République impériale. Politique et racisme d’État
Olivier Le Cour Grandmaison Paris, Fayard, janvier 2009, 401 p.
Après la polémique suscitée par son précédent essai sur la guerre coloniale Coloniser, exterminer (Fayard, 2005), Olivier Le Cour Grandmaison revient à la charge. En 400 pages très denses, d’une impressionnante érudition, empruntant à l’histoire des idées, à la philosophie politique, mais aussi au droit, à la sociologie voire à la psychologie, il expose une thèse simple sinon simpliste : à partir de 1885, la IIIe République est devenue impériale. Les historiens de la République comme ceux de la colonisation ont sous-estimé ce processus d’impérialisation des institutions et des mentalités : l’auteur cite l’ouvrage de référence de Pierre Rosanvallon L’État en France : de 1789 à nos jours (Le Seuil, 1990) qui passe sous silence l’histoire coloniale de la République. Pourtant, à partir de la conquête de l’Indochine et du ralliement de toute la classe politique à l’idée coloniale, l’outre-mer va prendre une place considérable dans l’État et dans la psyché des Français. Au lendemain de la Débâcle de 1870 et à la veille de la reconquête de l’Alsace-Lorraine, il constitue pour la métropole un facteur de fierté et de régénération.
La description de cet État impérial-républicain et de ses institutions surannées (le ministère des Colonies, l’École coloniale, l’Académie des sciences coloniales) est savoureuse. En revanche, O. Le Cour Grandmaison est beaucoup moins convaincant lorsqu’il expose les ressorts de ce processus. Sautant de 1870 à 1940 sans souci de la chronologie, il donne parfois au lecteur le vertige par la masse et par l’aridité de sa documentation. Il a certes le mérite de se plonger dans des sources négligées : les volumineux manuels de législation coloniale, les délires racistes du darwinisme social, l’exotisme frelaté du roman colonial dont l’immense succès au début du xxe siècle n’a d’égal que la profondeur de l’oubli dans lequel il est tombé aujourd’hui. Mais hélas la montagne accouche d’une souris : tous les livres, les articles, les discours qu’il sollicite révèlent la banalité d’un racisme aujourd’hui inadmissible. Qu’il existât des races et qu’elles fussent hiérarchisées était alors tenu pour vérité scientifique. Considérer que les Blancs occupaient le plus haut degré de civilisation et les Noirs le tout dernier et que le rôle des premiers est d’accompagner les seconds dans un lent et difficile processus de maturation n’était en rien raciste mais plutôt la marque d’un esprit libéral et philanthrope. Cela est certes affligeant, mais bien peu original.
O. Le Cour Grandmaison a le tort de se concentrer sur les concepts et les discours et de négliger les pratiques. Les expériences vécues des colonisés et des colons, leur évolution au fil du temps, les différences entre l’Indochine, le Maghreb et l’Afrique noire sont gommées. À la fin du chapitre II, O. Le Cour Grandmaison évoque trop brièvement les pratiques sociales en colonie. L’espace de quelques pages, son livre se met à vivre : s’animent les casques coloniaux, les dames en crinoline, les boys empressés… L’analyse du « langage colonial », notamment de ce tutoiement autoritaire et infantilisant dont les colons usaient – et usent parfois encore – avec les colonisés, est éclairante. Mais bien vite, l’auteur s’égare encore, notamment dans l’ultime chapitre où l’auteur conclut une analyse comparée de « l’espace vital » colonial et du Lebensraum national-socialiste par l’irréductibilité de ces deux concepts.
La lecture de ce savant ouvrage est frustrante. On ne parvient pas à se départir du sentiment que O. Le Cour Grandmaison a raté sa cible et à le regretter. La dénonciation du mythe d’un système colonial bienveillant, à laquelle il entendait porter sa pierre, est pourtant indispensable. Nombreux sont les universitaires qui, en France et aussi aux États-Unis, depuis la bronca provoquée par la loi du 23 février 2005, s’y sont déjà attelés avec succès.