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La réforme des armées en France
Bastien Irondelle Presses de Sciences Po, Paris, 2011, 338 p.
Bastien Irondelle publie sa thèse soutenue en 2003. Grâce en soit rendu aux Presses de Sciences Po qui mette ainsi à la disposition d’un large public son analyse du processus décisionnel de la réforme militaire de 1996. Cette publication est d’autant la bienvenue que la politique militaire reste un terrain mal défriché de la science politique.
On n’a pas oublié qu’en février 1996, Jacques Chirac annonçait la plus grande réforme des armées françaises entreprise depuis le général de Gaulle en 1962 : tirant les leçons de la fin de la Guerre froide et de la guerre du Golfe, la France réduisait le format de ses armées, démantelait une partie de sa dissuasion nucléaire et met fin au service national obligatoire.
Battant en brèche les idées reçues, Bastien Irondelle démontre que cette décision n’avait rien d’inéluctable. Certes, le Livre blanc de 1993 avait déjà pris acte de la dissipation de la menace soviétique et intégré les contraintes budgétaires. La défense du territoire était éclipsée par la nouvelle priorité mise dans la projection des forces sur les théâtres d’opérations extérieures. Mais il consacrait le modèle d’armée mixte, fondé sur la pérennité de la triade nucléaire, la préservation des programmes d’armement et le maintien de la conscription. À l’époque, l’armée de métier faisait figure de tabou.
La conscription était parée de toutes les vertus. Elle garantissait aux politiques la pérennité du lien armée-nation. Elle fournissait aux militaires une main d’œuvre nombreuse et qualifiée dont le remplacement par des recrutements massifs semblait quasi-impossible. Les industriels y voyaient l’assurance du maintien d’un format d’armée assurant un niveau élevé de commandes. Les budgétaires étaient, eux aussi, favorables à l’armée mixte moins coûteuse que l’armée de métier. Enfin, l’opinion publique était ambivalente, désirant tout à la fois le service national et l’armée de métier.
Dans ces conditions, la fin du service national n’est pas un thème de campagne lors de la présidentielle 1995. Ni Édouard Balladur, dont le programme s’inscrit dans la continuité de l’action entreprise au gouvernement depuis 1993, ni Lionel Jospin ne sont favorables à l’abandon de la conscription. Jacques Chirac, avec une certaine part d’opportunisme électoraliste, est plus ambigu. Sa fille, Claude, qui dirige sa communication, a compris que le thème de l’abolition de la conscription était populaire chez les jeunes. Mais il fallait ménager les gaullistes historiques du RPR attachés à l’armée de métier.
Bastien Irondelle souligne le rôle décisif du chef de l’État dans le processus décisionnel. Un Jacques Chirac qui, contrairement à l’image convenue, ne suit pas l’avis du dernier qui parle, mais au contraire nourrit des convictions fortes sur le sujet, nourri par une expérience qui le légitime parmi les militaires. Pour autant, le chef de l’État ne décide pas seul. Le président et son entourage s’appuient sur l’expertise du ministère de la Défense. Bastien Irondelle nous fait pénétrer dans les arcanes du Comité stratégique qui, à l’automne 1995 puis à l’hiver 1996, prépare et met en musique la réforme présidentielle. Avec lui, on approche quelques grandes figures de la réforme : Jean-Claude Mallet, directeur des Affaires stratégiques, grand commis de l’État, le général Mercier, le chef du cabinet militaire du ministre, l’amiral Delaunay, chef de l’état-major particulier du président de la République…
Au total, c’est une réforme réussie qui est décrite. Les militaires, qui ont intériorisé la légitimité de la prédominance présidentielle sous la Vème République, la mettent en œuvre sans barguigner. L’annonce des réformes ne donne lieu à aucune forme de mobilisation sociale. Le lustre du chef de l’État, mis à mal par les grèves de décembre 1995, est restauré – même si cela ne lui évitera pas de perdre les législatives un an plus tard.
Une telle réussite, dans un pays que l’on dit rétif à se réformer, est suffisamment rare pour mériter une analyse.