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La question kurde à l’heure de Daech
par Gérard Chaliand (avec la collaboration de Sophie Mousset) - Paris, Seuil, 2015, 160p.
À 80 ans passés, Gérard Chaliand continue de nous faire visiter le monde avec ce mélange unique d’encyclopédisme fascinant et de partis pris militants. Son engagement en faveur de la cause kurde est ancien, puisqu’il remonte aux années 1970. Dans ce court essai, qu’il cosigne avec Sophie Mousset, il brosse à grands traits l’histoire de ce peuple tiraillé entre plusieurs États : la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran.
Comme le titre l’annonce, la question kurde se pose aujourd’hui en des termes renouvelés. En 1991, la deuxième guerre du Golfe avait déjà créé une zone autonome kurde au Nord de l’Irak. Grâce à elle, le Kurdistan irakien a été épargné par la troisième guerre du Golfe consécutive à l’invasion états-unienne en 2003. Et son autonomie s’est encore accrue avec la chute de Saddam Hussein, au point qu’une entité quasi autonome existe désormais au Nord-Est de l’Irak, peuplée de près de 8 millions d’habitants, avec Erbil pour capitale. Elle fut, jusqu’en 2014, un « îlot de tranquillité » au cœur d’une région bouleversée par l’écroulement du régime baasiste, l’incapacité des forces d’occupation américaines à reconstruire un pacte national en Irak, la prise de pouvoir par les chiites majoritaires, la marginalisation et la radicalisation des sunnites.
Mais cette quiétude relative est remise en cause par l’irruption de Daech. Le mouvement, qui plonge ses racines dans la résistance sunnite à l’occupation américaine de l’Irak et au nouveau pouvoir chiite, passe à l’attaque en Syrie et dans le Nord de l’Irak à l’été 2014, prend Mossoul à une armée régulière irakienne que dix années d’entraînement par des instructeurs américains n’auront pas réussi à aguerrir et annonce l’instauration du califat sur les territoires qu’il occupe. Cette débandade fait un temps le jeu du Kurdistan irakien, qui occupe sans coup férir Kirkouk et les territoires qu’il revendiquait sans succès jusqu’alors. Mais les forces de Daech, poursuivant leur progression, avancent jusqu’aux portes d’Erbil. La région fédérale autonome ne doit sa survie qu’à l’intervention de l’aviation américaine, le 8 août 2014.
Depuis prévaut une guerre d’usure. D’un côté, les Kurdes d’Irak tiennent un front de plus de 1 000 kilomètres. De l’autre, le djihadisme salafiste qui anime Daech est loin d’avoir épuisé sa capacité de mobilisation, mais la configuration du terrain et les bombardements des Occidentaux l’empêchent désormais de progresser. Il peut reporter ses efforts sur le front syrien, où quelques poches kurdes résistent héroïquement dans la plaine de la Djezireh (Kobané, Qamishli, Afrin). La situation en Syrie apparaît insoluble pour les pays occidentaux : si l’objectif à long terme reste le renversement du régime criminel de Bachar Al-Assad, la lutte contre Daech l’en distrait, tandis que l’absence d’une opposition crédible l’en décourage.
L’attitude de la Turquie complique encore un peu plus l’affaire. Elle compte sur son territoire une communauté kurde nombreuse. Gérard Chaliand, qui la surévalue sans doute, la chiffre à 18 millions de personnes, soit le cinquième de la population turque. Une féroce répression armée s’est abattue sur le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à partir de 1984. Elle s’est achevée par l’arrestation de son chef Abdullah Öcalan en 1999. L’hostilité à Bachar Al-Assad conduit la Turquie à une certaine complaisance à l’égard de Daech, avec qui elle partage une hostilité commune aux Kurdes. Sa frontière avec la Syrie laisse transiter les djihadistes mais reste fermée aux peshmergas, qui souhaitent apporter armes et munitions aux Kurdes de Kobané. Mais le score sans précédent du pro-kurde Parti démocratique des peuples (HDP) aux législatives du 7 juin 2015 change la donne et place Recep Tayyip Erdogan face à un dilemme : soit il écrase les Kurdes au risque de se priver d’une majorité électorale, soit il compose avec le HDP pour l’obtenir.
Comme le titre l’annonce, la question kurde se pose aujourd’hui en des termes renouvelés. En 1991, la deuxième guerre du Golfe avait déjà créé une zone autonome kurde au Nord de l’Irak. Grâce à elle, le Kurdistan irakien a été épargné par la troisième guerre du Golfe consécutive à l’invasion états-unienne en 2003. Et son autonomie s’est encore accrue avec la chute de Saddam Hussein, au point qu’une entité quasi autonome existe désormais au Nord-Est de l’Irak, peuplée de près de 8 millions d’habitants, avec Erbil pour capitale. Elle fut, jusqu’en 2014, un « îlot de tranquillité » au cœur d’une région bouleversée par l’écroulement du régime baasiste, l’incapacité des forces d’occupation américaines à reconstruire un pacte national en Irak, la prise de pouvoir par les chiites majoritaires, la marginalisation et la radicalisation des sunnites.
Mais cette quiétude relative est remise en cause par l’irruption de Daech. Le mouvement, qui plonge ses racines dans la résistance sunnite à l’occupation américaine de l’Irak et au nouveau pouvoir chiite, passe à l’attaque en Syrie et dans le Nord de l’Irak à l’été 2014, prend Mossoul à une armée régulière irakienne que dix années d’entraînement par des instructeurs américains n’auront pas réussi à aguerrir et annonce l’instauration du califat sur les territoires qu’il occupe. Cette débandade fait un temps le jeu du Kurdistan irakien, qui occupe sans coup férir Kirkouk et les territoires qu’il revendiquait sans succès jusqu’alors. Mais les forces de Daech, poursuivant leur progression, avancent jusqu’aux portes d’Erbil. La région fédérale autonome ne doit sa survie qu’à l’intervention de l’aviation américaine, le 8 août 2014.
Depuis prévaut une guerre d’usure. D’un côté, les Kurdes d’Irak tiennent un front de plus de 1 000 kilomètres. De l’autre, le djihadisme salafiste qui anime Daech est loin d’avoir épuisé sa capacité de mobilisation, mais la configuration du terrain et les bombardements des Occidentaux l’empêchent désormais de progresser. Il peut reporter ses efforts sur le front syrien, où quelques poches kurdes résistent héroïquement dans la plaine de la Djezireh (Kobané, Qamishli, Afrin). La situation en Syrie apparaît insoluble pour les pays occidentaux : si l’objectif à long terme reste le renversement du régime criminel de Bachar Al-Assad, la lutte contre Daech l’en distrait, tandis que l’absence d’une opposition crédible l’en décourage.
L’attitude de la Turquie complique encore un peu plus l’affaire. Elle compte sur son territoire une communauté kurde nombreuse. Gérard Chaliand, qui la surévalue sans doute, la chiffre à 18 millions de personnes, soit le cinquième de la population turque. Une féroce répression armée s’est abattue sur le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à partir de 1984. Elle s’est achevée par l’arrestation de son chef Abdullah Öcalan en 1999. L’hostilité à Bachar Al-Assad conduit la Turquie à une certaine complaisance à l’égard de Daech, avec qui elle partage une hostilité commune aux Kurdes. Sa frontière avec la Syrie laisse transiter les djihadistes mais reste fermée aux peshmergas, qui souhaitent apporter armes et munitions aux Kurdes de Kobané. Mais le score sans précédent du pro-kurde Parti démocratique des peuples (HDP) aux législatives du 7 juin 2015 change la donne et place Recep Tayyip Erdogan face à un dilemme : soit il écrase les Kurdes au risque de se priver d’une majorité électorale, soit il compose avec le HDP pour l’obtenir.