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La politique internationale de la Chine. Entre intégration et volonté de puissance
Jean-Pierre Cabestan Paris, Les Presses de Sciences Po, Collection Références, Domaine Mondes, 2010, 464 p.
Jean-Pierre Cabestan dirige le département de science politique et d’études internationales à l’Université baptiste de Hongkong. C’est un des meilleurs sinologues français. Son livre analyse la politique internationale de la Chine à partir du discours des autorités de Pékin et des analyses des experts chinois qui sont autant de sources d’accès difficile et donc rarement exploitées. Il propose notamment une topologie très éclairante des principaux centres de décision chinois. Il est construit en deux parties : la première expose l’évolution de la politique extérieure chinoise depuis Tian Anmen ; la seconde présente les relations de la Chine avec ses principaux partenaires, au premier chef les États-Unis.
La thèse de Jean-Pierre Cabestan part d’un fait incontestable : la Chine s’intègre de plus en plus aux affaires du monde. Le temps n’est plus où elle vivait en autarcie, fermée aux influences extérieures, prisonnière d’une paranoïa obsidionale. L’Empire du milieu s’est « socialisé » (p. 394). Il est un partenaire commercial et économique de premier plan. Il joue un rôle plus constructif aux Nations unies. Il accepte timidement de s’intégrer à son environnement régional (ASEAN + 3, APEC, OCS …). Il prend conscience des défis transversaux : lutte contre le réchauffement climatique, non-prolifération, guerre contre le terrorisme, etc.
Toute la question est de savoir si cette intégration croissante est sincère ou si elle cache une volonté de puissance intacte, si la Chine est une puissance du statu quo, qui revendique timidement de trouver sa « place au soleil » d’un ordre mondial dont elle s’était elle-même retranchée, ou bien si elle demeure une puissance révisionniste qui cherche à participer au concert international pour mieux le subvertir.
La réponse de l’auteur est des plus claires. Les transformations de la politique étrangère chinoise sont, dit-il, influencées par le nationalisme viscéral qui guide les autorités pékinoises, orphelines du marxisme-léninisme. Conscientes de leur puissance grandissante, elles ont abandonné la prudence d’un Deng Xiaoping qui leur conseillait de faire profil bas (taoguang yanghui). L’heure est à une politique étrangère plus active (yousuo zuowei). Si le discours est plus urbain, plus policé, pour apaiser les craintes que suscite en Asie comme en Occident l’idée de la menace chinoise (lancée en 1997 avec l’ouvrage de Bernstein et Munro, The Coming Conflict with China), le contenu de cette nouvelle politique est extrêmement inquiétant. Son multilatéralisme par exemple n’est jamais totalement désintéressé : son attitude à Copenhague en décembre 2009 en est la preuve.
Jean-Pierre Cabestan souligne combien les relations extérieures sont influencées par les rapports de force. À l’égard des plus faibles qu’elle, la Chine n’a que mépris. C’est le cas de l’Europe, dont elle constate avec étonnement l’incapacité à s’ériger en acteur politique autonome, et plus encore de la France, « une puissance secondaire, démocratique mais en déclin » (p. 358). C’est le cas aussi de ses voisins asiatiques, tels que le Japon dont l’affaiblissement constitue une priorité pour Pékin (en témoigne son attitude en septembre 2010 après l’arraisonnement d’un bateau chinois au large des îles Diaoyu), ou de l’Inde dont elle n’accepte pas le statut de grande puissance en devenir.
En revanche, les États-Unis constituent « un modèle et un rival évidents » (p. 207) avec lequel les relations sont marquées par « un mélange quasi inséparable de coopération et de confrontation » (p. 208). Réaliste, la Chine reconnaît aux États-Unis le statut d’unique superpuissance et ne veut pas tomber dans le piège fatal à l’URSS d’une course illusoire à la parité stratégique. Mais pour autant, Pékin caresse l’ambition à moyen terme (2040-2050) de les supplanter et de devenir la première puissance mondiale. En est-elle capable ? Jean-Pierre Cabestan en doute et questionne sa capacité à « fournir un modèle de société au reste du monde » (p. 406). Mais qu’elle soit ou non couronnée de succès, cette aspiration à l’hyperpuissance est lourde de menaces pour la stabilité internationale des quarante prochaines années.