See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
La politique en Amérique latine : histoires, institutions et citoyennetés
Bérengère Marques-Pereira et David Garibay Armand Colin
L’Amérique latine intrigue, par son histoire, ses acteurs, ses coutumes. Elle est un protagoniste essentiel de la scène internationale de par ses relations « charnelles » avec les États-Unis – selon l’expression consacrée du ministre des Affaires étrangères argentin Guido Di Tella – et passionnelles avec l’Europe, mais aussi par ses abondantes ressources. Elle est pourtant restée cantonnée tout au long des xixe et xxe siècles à un rôle de second plan, sclérosée par une instabilité politique chronique qui empêchait toute véritable ouverture sur le monde. L’approche théorique encore vivace d’une Amérique latine unitaire, doit, à raison, laisser place au constat de sa « balkanisation » (p. 20), constat que l’on retrouve dès les premières lignes de ce manuel, à commencer par son titre qui évoque, au pluriel, les histoires, les institutions et les citoyennetés des sociétés latino-américaines.
Bérengère Marques-Pereira, professeure à l’université libre de Bruxelles en sciences politiques et sociales, et David Garibay, maître de conférences en science politique à l’université Lumière Lyon 2, produisent ici une analyse de fond, destinée à expliciter les mutations de la région depuis les indépendances. Revenant en premier lieu sur le mythe de son unité, ils expliquent en quoi chaque État possède sa propre identité, constat interdisant de réduire l’analyse à des caractéristiques génériques et transversales. Remontant à la colonisation et à la domination verticale et inégalitaire qu’elle induit, les auteurs s’efforcent de démontrer comment, en deux siècles, ces États sont devenus indépendants, ont glissé vers le populisme, ont subi des dictatures avant de finalement laisser place à des sociétés démocratiques. Ces mutations, parfois brusques, peuvent s’expliquer par la spécificité des sociétés latino-américaines, tant dans leurs rapports avec l’économie mondiale que par leurs traditions politiques. L’ultime évolution s’est traduite par l’émergence d'États de droit, de nouveaux acteurs sur la scène politique tels les femmes et les indiens. On passe donc de sociétés oligarchiques, régies par le clientélisme, le patrimonialisme et le corporatisme à des sociétés politiques organisées, bâties autour de l’affirmation des droits des citoyens. L’égalité des genres et la diversité ethnique constituent les autres pierres portées à l’édifice de la construction de sociétés à laquelle tous et toutes participent. En effet, la compréhension des sociétés latino-américaines ne peut se faire que si l’on saisit le rôle essentiel de la notion de « régime de citoyenneté » (p. 205). Elle revêt dans ces États une forme spécifique puisque l’on y considère que toute revendication, qu’elle soit sociale, politique, économique, voire écologique constitue une demande de reconnaissance de citoyenneté, à laquelle tous doivent et peuvent accéder.
Pour autant, expliquent les auteurs, il convient de rester vigilant face à cette analyse. En effet, l’aboutissement d’une telle évolution n’est envisageable que si les deux éléments déclencheurs – à savoir les institutions démocratiques et les nouveaux acteurs – perdurent et, surtout, contribuent à apporter des solutions concrètes à la pauvreté, la fiscalité, l’emploi, etc.
La force de cet ouvrage extrêmement didactique réside dans l’articulation qu’il propose entre, d’une part, une approche théorique reposant sur différentes doctrines politiques et sociales et, d’autre part, une approche concrète des événements et des systèmes politiques et sociaux latino-américains. Cette confrontation est d’autant plus vivante et pertinente qu’elle ne se réduit pas à une énumération descriptive, mais met en perspective les éléments qui rapprochent les sociétés latino-américaines ou, au contraire, les opposent. Les évènements nationaux et internationaux éclairent ainsi le paysage latino-américain et le rendent plus concret et intelligible.