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La nouvelle philanthropie (ré)invente-t-elle un capitalisme solidaire ?
Virginie Seghers Paris, Autrement, 2009, 266 p.
Après s’être intéressée au mécénat d’entreprise, Virginie Seghers, maître de conférences à Sciences Po Paris, s’arrête dans cet ouvrage sur la question du don fait par des personnes privées, sous la forme de la philanthropie. Tradition de longue date en France, les gestes de générosité des plus riches ont toujours été placés sous le signe de l’expression : « Ce qui fait du bruit ne fait pas de bien, ce qui fait du bien ne fait pas de bruit ». Conjuguée avec une conception de l’État comme détenteur du monopole de l’intérêt général, cette discrétion généralisée, issue dans la plupart des cas d’une éducation catholique, a fait pendant longtemps de la philanthropie française une affaire privée.
Dans ce contexte, Virginie Seghers s’interroge sur l’éventuelle apparition d’un nouveau modèle de philanthrope en France, dans le sillage des mutation qu’elle connaît aux États-Unis, en particulier avec la Fondation Bill et Melinda Gates aux États-Unis. L’auteur donne tout d’abord la parole aux philanthropes eux-mêmes, pour s’intéresser ensuite à leurs accompagnateurs et conseillers, en s’arrêtant dans un dernier temps sur l’opinion des chercheurs et experts dans le champ de la philanthropie.
Tout comme à l’étranger, le profil du philanthrope français est en train de changer. Il est de plus en plus jeune, à la tête d’une fortune qu’il a créée lui-même, et qu’il veut partager avec les autres. Ses motivations pour créer une fondation ne sont plus la mémoire d’un proche, la reconnaissance ou la postérité, mais elles s’appuient davantage sur une forte sensibilité sociale et environnementale. Le philanthrope veut s’impliquer dès son vivant dans le travail de sa fondation, avec la même exigence d’efficacité que dans son entreprise. On ne parle plus du don compassionnel, mais d’un investissement comme les autres.
En raison de l’impossibilité en droit français de déshériter un enfant en faveur d’une fondation familiale, les structures philanthropiques françaises ne sont pas aussi puissantes et riches que celles anglo-saxonnes. Pourtant, de nouveaux instruments financiers ont été créés, comme réponse à cette nouvelle demande d’implication sociale. On parle de plus en plus souvent de venture philanthropy, qui désigne une philanthropie inspirée par les règles du monde des affaires et de la finance, qu’elle applique à l’économie sociale et communautaire. Elle permet le suivi des projets et un contrôle plus facile des résultats, tout en répondant au besoin de créer plus de valeur sociale ajoutée qu’un donateur traditionnel.
[1] ? Qui peut assurer la cohérence entre les investissements et l’activité redistributrice d’une telle structure ? Comment regarder l’activité de ces superstructures sans se poser la question d’une possible opération de blanchiment éthique ? Même si on observe déjà une certaine concentration du pouvoir sur l’orientation des priorités sociales mondiales, le grand choc philanthropique doit encore se produire dans les pays émergents. La multiplication des milliardaires russes, chinois ou sud-africains laisse entrevoir de nouveaux territoires pour une philanthropie d’une encore plus grande ampleur. Qu’est-ce que se passerait si les 10 millions de personnes les plus riches du monde, possédant ensemble 40 700 milliards de dollars, donnaient 10 % de leur fortune à la philanthropie ? Peut-être faut-il souligner le fait que, selon l’ONU, l’éradication de la faim dans le monde est estimé à 40 milliards de dollars par an !
Cette volonté de plus en plus prégnante de la part des entrepreneurs de s’investir en tant qu’acteurs sociaux pose néanmoins quelques questions. Qui contrôle, par exemple, la bonne gouvernance d’une fondation qui gère un capital une fois et demie plus grand que le budget de l’OMSAinsi, le portrait du philanthrope contemporain dressé par Virginie Seghers dans cet ouvrage est complexe. Si les plus riches ont une réelle volonté d’agir et d’intervenir , les enjeux dépassent ce constat. Car, donner un nouveau sens au capitalisme n’est pas seulement une question de moyens, mais aussi de conscience.
[1]. En l’occurrence Bill and Melinda Gates Foundation qui travaille notamment dans le domaine de la santé.