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La mondialisation criminelle
par Alain Tarrius - Paris, l'aube, 2015, 144p.
Dans ce petit ouvrage, Alain Tarrius présente les résultats de ses recherches de terrain dans les réseaux transnationaux de prostitution et livre un éclairage très intéressant sur une facette négligée de la mondialisation, celle des milieux criminels. L’auteur combine analyse micro, en détaillant les trajectoires de prostituées vers l’Europe occidentale, et analyse macro en décrivant le fonctionnement des circuits mafieux qui font transiter drogues et femmes dans une pure logique commerciale.
Le portrait de ce pan de la mondialisation criminelle est saisissant. Si le contrôle global des trafics sud-européens dépend de la coopération des mafias italo-russes, leur mise en œuvre revient à des Géorgiens, Turcs, Serbes, Albanais, Roumains, Bulgares ou Ukrainiens. Ce brassage criminel donne aux réseaux un caractère fondamentalement cosmopolite, symbolisé par une langue particulière, mais aussi une régulation, des codes et des pratiques propres. Ce schéma transmigratoire dépasse le cadre traditionnel « immigration / nation » et se caractérise, au contraire, par une « mobilité sans frontière » ou, autrement dit, par des « territoires circulatoires » qui se construisent une identité propre.
Ce cosmopolitisme se retrouve tout d’abord sur le pourtour de la mer Noire, plaque tournante intercontinentale et clé d’accès au marché européen pour les réseaux illégaux de biens à finalités licites (produits électroniques notamment) ou à finalités illicites (drogues, prostitution). En ce qui concerne la filière de prostitution décrite par l’auteur, une première sélection y est effectuée, avant que les femmes ne soient envoyées vers la région barcelonaise, où la légalisation espagnole des maisons closes couplée au nœud du trafic routier a fait de la zone un centre criminel névralgique. Les femmes sont ensuite vendues aux enchères puis redistribuées au sein de l’espace Schengen. Le trafic de stupéfiants accompagne celui de la prostitution, d’abord pour mutualiser l’acheminement, ensuite car l’argent des drogues est blanchi à travers le commerce légal des maisons closes espagnoles, et enfin car les deux se complètent, les prostituées étant également formées à vendre des drogues à leur clientèle.
A. Tarrius montre aussi comment, d’un côté, ces réseaux s’adaptent aux territoires dans lesquels ils s’inscrivent. Par exemple, dans le Languedoc-Roussillon, région limitrophe de la Catalogne traversée par les prostituées en transit vers les maisons closes d’Europe du Nord (Pays-Bas, Allemagne en particulier), mais qui au passage vont continuer leur activité clandestinement sur le territoire français. D’un autre côté, les territoires vont également s’adapter aux réseaux transnationaux. Ainsi, A. Tarrius explique comment le trafic de drogue alimente le clientélisme politique dans les Pyrénées-Orientales et impacte les villes du Sud de la France. La région s’intègre donc au tissu criminel catalan, renforçant l’image d’une mobilité sans frontière où les réseaux transmigrants se nourrissent de la rigidité des cadres législatifs et politiques étatiques. De même, le fait, par exemple, que de nombreuses prostituées sont rejointes par leurs familles puis se construisent un projet de retour confirme la théorie des « territoires circulatoires ». Il peut ainsi apparaître que la criminalité n’a pas seulement profité de la mondialisation des échanges et des flux, mais qu’elle en incarne même une version exacerbée.
Le portrait de ce pan de la mondialisation criminelle est saisissant. Si le contrôle global des trafics sud-européens dépend de la coopération des mafias italo-russes, leur mise en œuvre revient à des Géorgiens, Turcs, Serbes, Albanais, Roumains, Bulgares ou Ukrainiens. Ce brassage criminel donne aux réseaux un caractère fondamentalement cosmopolite, symbolisé par une langue particulière, mais aussi une régulation, des codes et des pratiques propres. Ce schéma transmigratoire dépasse le cadre traditionnel « immigration / nation » et se caractérise, au contraire, par une « mobilité sans frontière » ou, autrement dit, par des « territoires circulatoires » qui se construisent une identité propre.
Ce cosmopolitisme se retrouve tout d’abord sur le pourtour de la mer Noire, plaque tournante intercontinentale et clé d’accès au marché européen pour les réseaux illégaux de biens à finalités licites (produits électroniques notamment) ou à finalités illicites (drogues, prostitution). En ce qui concerne la filière de prostitution décrite par l’auteur, une première sélection y est effectuée, avant que les femmes ne soient envoyées vers la région barcelonaise, où la légalisation espagnole des maisons closes couplée au nœud du trafic routier a fait de la zone un centre criminel névralgique. Les femmes sont ensuite vendues aux enchères puis redistribuées au sein de l’espace Schengen. Le trafic de stupéfiants accompagne celui de la prostitution, d’abord pour mutualiser l’acheminement, ensuite car l’argent des drogues est blanchi à travers le commerce légal des maisons closes espagnoles, et enfin car les deux se complètent, les prostituées étant également formées à vendre des drogues à leur clientèle.
A. Tarrius montre aussi comment, d’un côté, ces réseaux s’adaptent aux territoires dans lesquels ils s’inscrivent. Par exemple, dans le Languedoc-Roussillon, région limitrophe de la Catalogne traversée par les prostituées en transit vers les maisons closes d’Europe du Nord (Pays-Bas, Allemagne en particulier), mais qui au passage vont continuer leur activité clandestinement sur le territoire français. D’un autre côté, les territoires vont également s’adapter aux réseaux transnationaux. Ainsi, A. Tarrius explique comment le trafic de drogue alimente le clientélisme politique dans les Pyrénées-Orientales et impacte les villes du Sud de la France. La région s’intègre donc au tissu criminel catalan, renforçant l’image d’une mobilité sans frontière où les réseaux transmigrants se nourrissent de la rigidité des cadres législatifs et politiques étatiques. De même, le fait, par exemple, que de nombreuses prostituées sont rejointes par leurs familles puis se construisent un projet de retour confirme la théorie des « territoires circulatoires ». Il peut ainsi apparaître que la criminalité n’a pas seulement profité de la mondialisation des échanges et des flux, mais qu’elle en incarne même une version exacerbée.