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La guerre Iran-Irak. Première guerre du Golfe. 1980-1988
par Pierre Razoux - Paris, Perrin, 2013, 608 p.
Le dossier du nucléaire iranien est à l’agenda de toutes les chancelleries et de tous les médias depuis l’accession d’Hassan Rohani à la présidence de la République islamique. Les propositions de sortie de crise émises par ce dernier suscitent les débats les plus passionnés autour de la nature du régime iranien. Dans ce cadre, le récent ouvrage de Pierre Razoux tombe à point nommé.
D’une part, parce qu’une attaque préventive contre l’Iran aurait nécessairement des répercussions graves. Les hommes passent, l’intransigeance du régime demeure vis-à-vis de tout agresseur : « Son pouvoir de nuisance est bien réel. Pendant la guerre il n’a pas hésité à pratiquer le kidnapping et les attentats par États et milices interposés, à s’en prendre aux infrastructures pétrolières […] Il n’est pas exclu qu’il fasse de même aujourd’hui ou demain […] s’il estime y être contraint. » D’autre part, parce qu’il est une évidence que rejettent ou taisent les partisans de la fermeté envers Téhéran : « malgré les rodomontades dont il est coutumier, le pouvoir iranien est parfaitement rationnel, pragmatique et comprend très bien les notions de rapports de forces et de dissuasion. » Il est donc possible de mener un véritable dialogue avec le régime des mollahs pourvu que l’on soit prêt à faire preuve de la fermeté comme de la souplesse nécessaires, y compris, éventuellement, dans le cadre d’une poursuite éventuelle du programme nucléaire militaire. Enfin, parce que P. Razoux livre une série de portraits allant du guide suprême actuel, l’ayatollah Khamenei, aux principaux généraux iraniens. Cette galerie permet une compréhension précise de quelques-uns des nombreux enjeux de pouvoir opposant les différentes factions du clergé et des laïcs, du bazar, de l’armée et des pasdarans, et livre un aperçu synthétique des principales lignes de fracture traversant une société iranienne que « l’Occident » méconnaît fréquemment.
Au-delà de cet éclairage, P. Razoux, déjà auteur d’un Tsahal qui fait référence, démontre qu’il est l’un des meilleurs experts de la géopolitique du Moyen-Orient et de ses conflits armés. La narration des combats est extrêmement documentée tout en demeurant parfaitement claire, accessible au profane. Dans son style habituel, concis, fluide, P. Razoux rappelle quelques réalités militaires essentielles : les armées iraniennes et irakiennes, loin de s’être affrontées uniquement dans le cadre d’une bataille frontale absurde digne de la Première Guerre mondiale, ont toutes deux conçu et réalisé des opérations complexes et ambitieuses, démontrant leur maîtrise des armements modernes. Un rappel indispensable à ceux qui considèrent qu’une guerre contre une nation du Golfe relèverait de la promenade militaire contre des incapables.
Certes, la guerre Iran-Irak n’a pas été une guerre totale, dans la mesure où les deux belligérants n’ont pas consacré l’intégralité de leurs moyens humains et matériels aux combats. Mais elle n’en a pas moins été un conflit de très haute intensité qui marquera sans doute longtemps encore les esprits des populations impliquées. Il suffit de lire le chapitre que l’auteur consacre à la « guerre des villes », ce matraquage des principales agglomérations iraniennes par les Scuds de Saddam Hussein, pour comprendre l’obsession qu’a depuis développée Téhéran, qui ne disposait pas d’un arsenal similaire et dissuasif à l’époque, en matière de missiles balistiques. Ce trauma, associé à l’usage massif que l’Irak a fait de l’arme chimique, explique cette volonté iranienne de se doter d’armes de destruction massives aussi dissuasives que possible. De même, le descriptif des rapports rivaux entre chiites et sunnites irakiens, entre baassistes irakiens et syriens, entre mouvements indépendantistes kurdes, procure des éléments de compréhension incontournables pour saisir les causes des conflits ensanglantant actuellement Irak et Syrie.
Au total, un document passionnant, qui revient en outre sur le jeu trouble des puissances majeures – Union
soviétique, Chine, États-Unis, France, Israël –, à la fois inquiètes et toutes plus empressées les unes que les autres à tirer les marrons du feu. Osirak, Bouchehr, Eurodif, Irangate, prises d’otages : P. Razoux démêle l’écheveau des enjeux nucléaires, industriels, religieux, etc., qui firent – et font encore – le malheur du Moyen-Orient.
D’une part, parce qu’une attaque préventive contre l’Iran aurait nécessairement des répercussions graves. Les hommes passent, l’intransigeance du régime demeure vis-à-vis de tout agresseur : « Son pouvoir de nuisance est bien réel. Pendant la guerre il n’a pas hésité à pratiquer le kidnapping et les attentats par États et milices interposés, à s’en prendre aux infrastructures pétrolières […] Il n’est pas exclu qu’il fasse de même aujourd’hui ou demain […] s’il estime y être contraint. » D’autre part, parce qu’il est une évidence que rejettent ou taisent les partisans de la fermeté envers Téhéran : « malgré les rodomontades dont il est coutumier, le pouvoir iranien est parfaitement rationnel, pragmatique et comprend très bien les notions de rapports de forces et de dissuasion. » Il est donc possible de mener un véritable dialogue avec le régime des mollahs pourvu que l’on soit prêt à faire preuve de la fermeté comme de la souplesse nécessaires, y compris, éventuellement, dans le cadre d’une poursuite éventuelle du programme nucléaire militaire. Enfin, parce que P. Razoux livre une série de portraits allant du guide suprême actuel, l’ayatollah Khamenei, aux principaux généraux iraniens. Cette galerie permet une compréhension précise de quelques-uns des nombreux enjeux de pouvoir opposant les différentes factions du clergé et des laïcs, du bazar, de l’armée et des pasdarans, et livre un aperçu synthétique des principales lignes de fracture traversant une société iranienne que « l’Occident » méconnaît fréquemment.
Au-delà de cet éclairage, P. Razoux, déjà auteur d’un Tsahal qui fait référence, démontre qu’il est l’un des meilleurs experts de la géopolitique du Moyen-Orient et de ses conflits armés. La narration des combats est extrêmement documentée tout en demeurant parfaitement claire, accessible au profane. Dans son style habituel, concis, fluide, P. Razoux rappelle quelques réalités militaires essentielles : les armées iraniennes et irakiennes, loin de s’être affrontées uniquement dans le cadre d’une bataille frontale absurde digne de la Première Guerre mondiale, ont toutes deux conçu et réalisé des opérations complexes et ambitieuses, démontrant leur maîtrise des armements modernes. Un rappel indispensable à ceux qui considèrent qu’une guerre contre une nation du Golfe relèverait de la promenade militaire contre des incapables.
Certes, la guerre Iran-Irak n’a pas été une guerre totale, dans la mesure où les deux belligérants n’ont pas consacré l’intégralité de leurs moyens humains et matériels aux combats. Mais elle n’en a pas moins été un conflit de très haute intensité qui marquera sans doute longtemps encore les esprits des populations impliquées. Il suffit de lire le chapitre que l’auteur consacre à la « guerre des villes », ce matraquage des principales agglomérations iraniennes par les Scuds de Saddam Hussein, pour comprendre l’obsession qu’a depuis développée Téhéran, qui ne disposait pas d’un arsenal similaire et dissuasif à l’époque, en matière de missiles balistiques. Ce trauma, associé à l’usage massif que l’Irak a fait de l’arme chimique, explique cette volonté iranienne de se doter d’armes de destruction massives aussi dissuasives que possible. De même, le descriptif des rapports rivaux entre chiites et sunnites irakiens, entre baassistes irakiens et syriens, entre mouvements indépendantistes kurdes, procure des éléments de compréhension incontournables pour saisir les causes des conflits ensanglantant actuellement Irak et Syrie.
Au total, un document passionnant, qui revient en outre sur le jeu trouble des puissances majeures – Union
soviétique, Chine, États-Unis, France, Israël –, à la fois inquiètes et toutes plus empressées les unes que les autres à tirer les marrons du feu. Osirak, Bouchehr, Eurodif, Irangate, prises d’otages : P. Razoux démêle l’écheveau des enjeux nucléaires, industriels, religieux, etc., qui firent – et font encore – le malheur du Moyen-Orient.