La guerre économique
Jean-Marc Huissoud et Frédéric Munier (sous la dir.) Paris, PUF, juin 2009, 274 p.
Notion décriée, la guerre économique méritait bien qu’un ouvrage lui soit dédiée. C’est chose faite avec le rapport 2010 de l’Association Anteios pour la promotion de la géopolitique et la géoéconomie. Divisé en deux parties, le rapport recadre les fondements historiques, politiques et économiques de la guerre économique puis dresse un panorama des principales puissances mondiales évoluant dans ce qui semble être le nouveau paradigme des relations internationales.
Comme le rappelle Frédéric Munier en introduction, la guerre économique est apparue dans sa forme moderne au sortir de la Guerre froide. D’une guerre réelle, militaire, politique et idéologique nous sommes passés à une forme d’affrontements purement économiques mais non moins importants pour le devenir des nations. La guerre économique doit ainsi s’entendre par « combat entre les nations mues par leur volonté de puissance. Dans ce contexte, la puissance rime avant tout pour un État à sa capacité à modifier les conditions de la concurrence, à transformer le contexte économique à son profit afin de conserver des emplois, à s’assurer de sa domination technologique, commerciale, économique et, partant, politique » (p. 4). Néanmoins, F. Munier rappelle assez pertinemment que la notion de guerre économique est décriée par divers courants politiques et économiques, notamment pour sa nature belligène.
Malgré les redites, les trois articles de la première partie permettent de bien comprendre le concept. Dans un premier temps, O. David et J.-L. Suissa s’attardent sur les racines de la guerre économique, du mercantilisme du xvie siècle au « national-libéralisme » actuel, terme employé par les auteurs. Dans les deux cas, l’économie est un des fondements de la puissance d’un État et est utilisée à des fins politiques. Toutefois, la grande différence actuellement est que « la synthèse nationale-libérale, jusque-là épisodique, exceptionnelle ou éducatrice le temps d’une émergence économique, commence à devenir permanente à l’occasion de la fin de la guerre froide » (p. 41).
Dans le second article, F. Munier remet la guerre économique au cœur de trois évolutions majeures de la fin du xxe siècle : le passage de la géopolitique à la géoéconomie (accroissement des conflictualités entre acteurs dans le champ économique, au détriment du champ militaire) ; la notion de puissance, qui privilégie la puissance douce basée sur la persuasion à la force brute ; la remise en cause du dogme libéral et son corollaire, un retour de l’État comme acteur politico-économique légitime.
De plus, l’auteur rappelle que la guerre économique n’est pas une fin en soi mais a trois finalités (p. 71) : la finalité économique, la plus répandue, où la guerre économique a pour but d’affaiblir l’adversaire étant donné que la puissance de l’État est mesurée par son développement économique ; la finalité politico-stratégique, la plus ancienne, où la guerre économique est symbolisée par des sanctions (embargo, boycott) ; la finalité militaire : au fil des siècles, plus la guerre devenait totale, plus l’économie a été utilisée pour atteindre des objectifs militaires.
Le troisième article, écrit par J.-M. Huissoud, s’attarde sur la guerre économique à venir en partant de deux principes : toute guerre est économique ; toute économie est politique. La guerre économique sous-tend trois choses, selon lui : l’impératif technologique sous peine de déclassement économique ; la guerre de l’information (contrôle des infrastructures ainsi que captation et maîtrise de l’information pertinente) ; la crise financière qui poussent les pays à revoir les modèles de croissance. En outre, l’intérêt de l’article est le questionnement sur le devenir du monde. La guerre économique actuelle signifie-t-elle la fin de l’Occident et/ou du capitalisme ? La question est de savoir si ces évolutions déboucheront sur un contexte conflictuel généralisé ou si les acteurs seront capables de faire converger des intérêts supérieurs.
La deuxième partie du rapport traite de la guerre économique vue de différentes aires géographiques. Même si elles souffrent de généralités, les contributions permettent un cadrage sur les politiques publiques dans un contexte de guerre économique, avec un certain recul historique. Alors que la France semble avoir une guerre de retard et que l’Europe est présentée comme une forteresse assiégée, l’Allemagne est définie comme une économie stratège. Le Japon, « précurseur ou samouraï fatigué ? », contraste avec la Chine, « un défi, une menace ou simplement un bluff ? ». La situation des États-Unis, « nos meilleurs ennemis ? » diffèrent grandement de celles des pays émergents et des perdants de la guerre économique.
Pour terminer, on notera avec intérêt l’apport d’O. Cateura et H. Poissonnier pour décrire le monde hyperconcurrentiel actuel, c’est-à-dire comment les entreprises voient la guerre économique. Les stratégies de coopétition (compétition et coopération) semblent être privilégiées afin de gagner en efficacité.